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Au Musée des Arts Contemporains de Téhéran
Mashregh-e Khiyâl ou l’Orient de l’imaginaire
Reportage, entretiens et traductions réalisés par
A partir du 15 août et durant près de deux mois, le Musée des Arts Contemporains de Téhéran nous invite à un voyage au cœur d’un type d’imaginaire unique au travers d’une nouvelle exposition intitulée "Mashreghe Khiyâl " ou " L’Orient de l’imaginaire". Organisée avec la coopération de l’Académie des Arts et du Ministère de la Culture, elle rassemble quelques 220 œuvres - peintures à l’huile, aquarelles, mais aussi œuvres créées à partir de sable ou de terre - réalisées par près de 120 figures majeures de la peinture iranienne contemporaine telles que Mohammad Javâdi Pour, Ahmad Esfandiâri, Masoure Hosseini, ou encore Gholâmhossein Nâmi et Behjat Sadr. Ces œuvres ont été choisies et rassemblées grâce au travail de longue haleine de M. Habibollâh Sâdeghi, nouveau directeur de ce musée.
Cette exposition met en exergue l’importance du facteur imaginatif dans la création des œuvres picturales iraniennes contemporaines et nous présente un artiste visionnaire, cherchant à voir et faire voir les choses existantes au-delà de la réalité sensible. Les toiles exposées révèlent tout d’abord la grande influence de la poésie et de la littérature persane sur l’imaginaire de l’artiste : on retrouve ainsi certaines histoires du Shâhnâmeh comme celle de la mort de Rostam dépeinte par Yaghoub Amâmehpich, on s’imprègne de l’ambiance des ghazal de Hâfez au travers des œuvres de Farah Osûli, et on est appelé à revivre la " passion " de Shams et Molânâ en contemplant l’œuvre de Rezâ Bangiz. On retrouve également l’influence des motifs dominants des miniatures persanes dans les fresques chargées d’oiseaux de Rezâ Hedâyat, ou encore au travers des œuvres de Kâzem Chalpa consacrées à Behzâd (l’un des grands maîtres de la miniature persane et qui illustra notamment l’épopée du Shâhnâmeh). Cependant, du recueil de poèmes à la toile, l’ambition est toujours la même : faire voir au-delà de ce que les yeux peuvent saisir.
Par conséquent, au-delà de sa stricte dimension artistique, cette exposition nous porte également sur les rivages des traditions, de la littérature, et de la spiritualité iraniennes. Elle invite le visiteur à voir le monde au travers du regard spirituel de l’artiste, et lui fait découvrir un monde " oriental " peuplé d’une profusion de symboles et de paysages éthérés. En ce sens, la notion d’ " Orient " (mashreq) a ici davantage un sens philosophique et mystique plutôt que strictement géographique, et fait référence à une certaine façon de percevoir et de " sentir " le monde.
Ainsi, si certaines de ces oeuvres pourraient rappeler les toiles de Dali ou encore de Magritte au spectateur occidental, elles se situent néanmoins bien au-delà du surréalisme puisqu’elles sont le produit du regard visionnaire et "éclairé " d’un artiste qui se transforme en herméneute du divin. Les représentations de la nature et du monde ne se veulent donc pas " réalistes " et naissent davantage du regard visionnaire et du monde intérieur du peintre. Elles s’accompagnent également d’une réflexion sur la condition et la dimension spirituelle de la vie humaine : on retrouve ainsi les thèmes du désert, de la retraite, et de la solitude dans les toiles de Mohammad Ebrâhim Jafari ou de Parvîz Kalantari ; sans mentionner la présence de toute une méditation sur l’homme "après la mort " au travers de paysages idylliques proches de ceux décrits dans les récits visionnaires de Sohrawardî. Les grands thèmes de la spiritualité islamo-chiite tels que l’Ashûrâ ou l’ascension du prophète (le mi’râj) sont également très présents. Beaucoup d’œuvres exposées, telles que celles de Sedâghat Japari ou de Sharâheh Sâlehi ou encore les représentations de derviches tourneurs semblent habitées par un mouvement ascensionnel, et nous révèlent un des recoins de l’âme de l’artiste tourné vers l’au-delà, vers la recherche du spirituel. Ainsi, cette exposition nous permet de découvrir " en image " un des aspects de la conscience iranienne et nous présente l’artiste non plus comme un reproducteur ou même un transformateur du réel qui l’entoure, mais comme un véritable visionnaire dont le regard dépasse la vision commune pour saisir une dimension plus subtile, voire plus spirituelle, de la réalité.