N° 11, octobre 2006

Le système scolaire français, entre remises en cause externes et réformes internes


Amélie Neuve-Eglise


Au centre de nombreux débats philosophiques et politiques, la question de l’éducation et du système d’enseignement est étroitement liée aux évolutions politico-sociales ainsi qu’à la façon dont un pays considère l’individu ainsi que son rôle dans la société. Après la Seconde Guerre Mondiale et la massification de l’enseignement, l’école a été, en France, considérée comme une institution pivot devant assurer la formation de l’individu, permettre une ascension sociale, et réduire les inégalités. Cependant, la massification de l’enseignement est allée de concert avec le développement de tout un mouvement de contestation des méthodes pédagogiques utilisées ainsi que du contenu des savoirs enseignés. Nous allons donc essayer de retracer la genèse de ce mouvement, pour ensuite tenter de discerner si les nouvelles méthodes proposées par des acteurs non étatiques ont été prises en compte ou même intégrées au système institutionnel " national ".

L’enseignement comme " bien public"

Les lois Jules Ferry de 1882 ayant instauré la gratuité, la laïcité, et l’obligation de l’instruction publique de 6 à 13 ans ont marqué le passage de l’enseignement, qui était auparavant essentiellement assuré par les religieux, dans le giron de l’Etat qui en a fait un "bien public " disponible et accessible à tous les citoyens. Ces lois s’inspiraient notamment de dispositions similaires prises en Allemagne quelques décennies auparavant et fortement influencées par les théories de Fichte. Actuellement, le système éducatif français est composé principalement d’écoles publiques (qui forment l’écrasante majorité) et d’écoles privées (qui sont, pour le plus grand nombre, confessionnelles et sous contrat d’association). Il existe également une infime minorité d’écoles privées laïques, et, depuis une trentaine d’années, des écoles promouvant des méthodes d’éducation qualifiées d’ " alternatives " ou " nouvelles " et proposant d’apporter des remèdes à certaines déficiences de l’Education nationale.

Les prémisses d’une remise en cause

Lors de l’adoption des lois Ferry, l’"instruction publique ", comme on l’appelait à l’époque, visait essentiellement à former un citoyen discipliné et attaché à sa patrie, dans le contexte d’une revanche possible et désirée des Français sur les Allemands à la suite de la défaite de Sedan. Le traumatisme occasionné par la Première Guerre Mondiale marqua une inflexion dans la façon de considérer l’institution scolaire, qui devait désormais davantage répondre aux besoins propres de chaque enfant et faisait de la formation d’un citoyen éclairé et attentif aux notions de fraternité ainsi que de respect de la personne humaine, une de ses priorités. Cette période fut également marquée par l’apparition des premières pédagogies dites " nouvelles " comme celles proposées par Montessori, Steiner, ou Freinet et qui mettaient davantage l’accent sur l’épanouissement personnel de chaque enfant ainsi que sur sa participation à son propre développement personnel et intellectuel au travers de méthodes dites " actives ". Elles se situaient, dans ce sens, dans le sillage d’une certaine philosophie de l’éducation élaborée par les humanistes de la Renaissance [1] qui considéraient avant tout que " l’enfant n’est pas un vase qu’on remplit mais un feu qu’on allume " et qui avait connu des applications concrètes dès la fin du XIXe siècle [2]. Si elles ne sont restées réservées qu’à une élite, ces nouvelles méthodes pédagogiques ont permis d’alimenter la réflexion toujours ouverte sur la question de la " meilleure " pédagogie. Cette période fut aussi celle de la création du Groupe Français d’Education Nouvelle (GFEN) en 1922 qui visait à promouvoir de nouvelles méthodes d’enseignement ; elle fut également celle de l’émergence de toute une dynamique de création de nouvelles écoles touchant l’Europe dans son ensemble et échangeant leurs idées lors de congrès organisés par la Ligue Internationale pour l’Education Nouvelle [3]. Ce mouvement sera néanmoins interrompu par la Seconde Guerre Mondiale. Si quelques écoles indépendantes sont créées dans les années ayant suivi la Libération [4], il faudra attendre le début des années 1970 [5] pour que ce mouvement connaisse une nouvelle impulsion. Les nouvelles méthodes d’enseignement élaborées à cette époque sont fortement influencées par la psychologie ainsi que la psychanalyse, ceci aboutissant à l’élaboration de concepts parfois stériles et éloignés des réalités concrètes de l’enseignement. Ce fut néanmoins la période de la création de l’Institut National de Recherche Pédagogique chargé de promouvoir le développement des recherches sur les méthodes pédagogiques et de rassembler de nombreuses ressources documentaires nationales et internationales sur le thème de l’éducation. A l’époque, ce centre s’est notamment fait le chantre de la pédagogie dite " de projet" qui faisait passer la transmission des savoirs par la réalisation de projets concrets et encourageait la participation des élèves à leur propre formation au travers de recherches personnelles, d’auto-évaluations…

L’émergence d’alternatives plus ou moins cohérentes

A partir des années 1980, l’augmentation du chômage et la panne de l’ascenseur social précipite l’institution scolaire dans une crise : sa capacité à remplir un de ses objectifs principaux, qui est la transmission de savoirs permettant à chacun de s’insérer dans la société, est mise en doute. Il est alors reproché au système éducatif français de manquer de pluralisme et de flexibilité face aux nouvelles exigences de la société et du marché du travail. D’aucuns ont également décrié l’existence d’importantes inégalités entre les établissements et entre les élèves même, notamment du fait de l’existence de processus de sélection plus ou moins officieux à l’entrée de certaines écoles se basant sur des critères subjectifs et contrevenant au principe d’universalité. La remise en cause du système d’enseignement s’est également insérée dans tout un lot de critiques plus larges adressées au secteur public et stigmatisant son manque de moyens et d’efficacité globale.

Face à cela, de nombreux projets "alternatifs " - et plus ou moins réalistes- se basant sur une certaine conception de la liberté selon laquelle chaque individu aurait le droit de choisir entre plusieurs systèmes et méthodes d’enseignement ont vu le jour. Ainsi, certains chantres du libéralisme ont prôné une libéralisation totale du secteur éducatif qui deviendrait un marché identique aux autres, c’est à dire régit par la loi de l’offre et de la demande et soumis à des exigences de compétitivité. Ce projet semble cependant très peu en phase avec les idées de service public et d’égalité de chances, ainsi qu’avec les exigences de cohésion sociale. Un autre projet, inspiré du système anglo-saxon de " vouchers " et rebaptisé en français " chèque-éducation ", a également été mis sur le devant de la scène il y a quelques années. A la disposition de chaque parent d’élève, ces chèques auraient vocation à être remis par les familles aux écoles où ces derniers souhaitent que leurs enfants fassent leurs études. Selon ses partisans, ce système aurait le mérite de favoriser une compétition entre les écoles et inciterait donc à une recherche d’efficacité. Il poserait cependant le problème de la fermeture de certaines écoles désertées ou " mal situées ", et entraînerait une généralisation des processus de sélection plus ou moins informels au sein des écoles les plus " demandées ". Son application en France demeure donc une hypothèse lointaine, en ce sens qu’elle impliquerait une refonte de l’ensemble du système. Certains ont également trouvé dans le système de l’ " école à la maison " une réponse à leur rejet du système scolaire institutionnel. Cependant, les projets récents les plus concrets en matière d’enseignement parallèle ont été avant tout portés par les écoles indépendantes précédemment évoquées. Cependant, ces établissements doivent être davantage considérés comme des " laboratoires " plutôt qu’une véritable solution, étant donné que la majorité d’entre elles demeurent très peu accessibles - soit financièrement, soit pour des raisons de manque de renseignement et de distance - à la grande majorité de la population scolarisée. Ainsi, un des problèmes principaux auquel ce système indépendant doit faire face est le manque de subventions publiques : ces écoles sont donc, pour la plupart, obligées de mettre en place un système de frais de scolarité très élevé et donc non accessible au plus grand nombre. En Europe même, ce système d’enseignement alternatif a eu un certain succès, et ce notamment au travers de " Small schools " en Angleterre ou des " Freie alternative schule " en Allemagne. Cependant, dans ce domaine, le pays le plus avancé demeure le Danemark où un groupe de parents d’élèves peut déposer un projet d’ouverture d’école alternative : si ce dernier est accepté, il est financé à hauteur de près de 85% par l’Etat. En France, l’Etat semble davantage pencher pour une politique de promotion de la diversité et pour une réforme à l’intérieur même du système d’enseignement public.

Des initiatives gouvernementales limitées

Face à cette crise de l’institution scolaire, des volontés de réformes ont progressivement émergé au niveau gouvernemental. Cela s’est manifesté par une volonté de remédier à certaines inégalités géographiques au travers de l’adoption d’une politique d’aide aux zones défavorisées, connaissant de forts taux d’échecs scolaires, avec notamment la création de " Zones d’Education Prioritaires " (ZEP) dotées d’un surplus de ressources humaines et financières. Les années 1990 ont aussi été les témoins de certaines réformes, dont la plus importante est celle ayant remis en cause le système du collège unique. Le dernier projet en cours est celui qui fut présenté par François Fillon, ministre de l’Education en 2004, sur la base du rapport Thélot. Elle compte la réduction de l’échec scolaire ainsi que l’apprentissage d’un "socle commun de savoirs fondamentaux" que tous les élèves se doivent de maîtriser parmi ses priorités : ainsi, les élèves les plus en difficulté consacreraient l’essentiel de leur temps à l’acquisition de ces "savoirs ", tandis que les autres pourraient se consacrer à l’approfondissement de leurs connaissances ou à des options de leur choix. On voit donc là un effort pour essayer de s’adapter à la diversité des profils des élèves. Ce projet émet également l’idée de laisser une certaine autonomie aux établissements scolaires afin qu’ils puissent davantage s’adapter aux besoins locaux. Il prône également l’intervention de personnes venant d’horizons très variés pour introduire une plus grande diversité au sein des établissements et faire découvrir aux élèves des métiers suffisamment tôt et de façon concrète, tout en développant les possibilités de stages et d’apprentissage tout au long de la scolarité. La pratique semble donc être davantage valorisée. L’objectif d’amener " 80% d’une classe d’âge " à réussir au bac est également remis en cause : on insiste désormais moins sur l’obtention du bac que sur l’acquisition d’une réelle qualification professionnelle. Appliquée dans ses grandes lignes à la rentrée 2006, cette réforme laisse espérer une évolution du système éducatif vers une plus grande décentralisation et davantage de flexibilité... si les moyens humains et financiers nécessaires suivent.

Les critiques actuelles dont fait l’objet le système éducatif reflètent les interrogations plus vastes de la société française concernant son système et ses " fins ". Si l’éducation parallèle ne peut, par définition, devenir la norme, elle n’en joue pas moins un rôle novateur important en favorisant la mise en application et la circulation de nouvelles idées qui sont parfois prises en compte par le système " officiel ". Dans ce sens, de nombreuses innovations inspirées de pédagogies au départ considérées comme " non conventionnelles " ont été intégrées au sein du système et des programmes de l’Education Nationale. Il faut enfin garder à l’esprit que le succès d’une réforme nécessite une certaine évolution des mentalités, notamment en ce qui concerne la dévalorisation des filières professionnelles qui sont encore trop considérées comme des lieux de relégation d’élèves en difficulté et non comme une chance d’insertion professionnelle plus précoce. Malgré les projets mis en place, il reste donc beaucoup à entreprendre pour concilier l’exigence de démocratie, la qualité de l’enseignement, et la prise en compte des besoins et projets de chacun.

Notes

[1Tels que Rabelais ou encore Montaigne.

[2Notamment avec la mise en place d’écoles telles que l’Ecole des Roches par Edmond Demolins en 1889, qui promouvait déjà la mise en place de méthodes dites "actives ". On trouve aussi des écoles libertaires telles que La Ruche créée en 1904 par Sébastien Faure. Elles ne restent cependant que des expérimentations éphémères mais qui ont influencé le mouvement ayant pris forme après la Première Guerre Mondiale.

[3Cette ligue fut fondée en 1921.

[4On peut notamment citer l’école du Père Castor, la Nouvelle Ecole de Boulogne, ou encore l’Ecole Nouvelle de la Source créée par Roger Cousinet.

[5Notamment avec la création de l’Association Nationale pour le développement de l’Education Nouvelle rassemblant des écoles promouvant des méthodes de l’éducation nouvelle tout en encourageant les échanges entre elles.


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