N° 45, août 2009

Mohammad Heydari-Malâyeri ; héritier des astronomes persans


Entretien réalisé par

Mireille Ferreira


Mohammad Heydari-Malâyeri, né à Malâyer dans les montagnes du Zagros en 1947, est astronome à l’Observatoire de Paris depuis 1980. C’est le spécialiste mondial de certaines « nébulosités bizarres », les étoiles massives, de jeunes mastodontes vieux de seulement quelques millions d’années, gros de 20 à 100 masses solaires. Son terrain de jeu favori est les galaxies les plus proches de la nôtre, les Nuages de Magellan, qu’il observe depuis des années du bout de ses télescopes géants. Cette éminente personnalité du monde des étoiles a accepté de nous accorder un entretien dans son bureau de l’Observatoire de Paris, où il est connecté en permanence avec son équipe d’astrophysiciens disséminée dans le monde entier.

Mireille Ferreira : Il est communément établi que l’excellence des astronomes arabo-persans viendrait de la religion islamique elle-même, qui aurait favorisé le développement de l’astronomie pour orienter les mosquées vers La Mecque, déterminer l’heure des prières et la période du Ramadan. Cette explication vous satisfait-elle ?

Mohammad Heydari-Malayer : On peut en tenir compte mais je ne pense pas que ce soit vraiment l’origine, car si vous considérez l’astronomie grecque qui fut si brillante, elle ne peut être en aucun cas connectée à la religion. De même, le développement de l’astronomie en Europe après la Renaissance n’avait rien à voir non plus avec cette dernière. Bien au contraire, l’abandon de la conception du géocentrisme, si chère à l’Eglise, a été le point de départ de progrès énormes. De toute façon, la direction vers la Mecque, c’est quelque chose de très approximatif pour les fidèles. Quant au calendrier lunaire musulman, sur lequel est basé le Ramadan, il est beaucoup moins précis que le calendrier solaire iranien. L’astronomie a commencé à être étudiée après la conquête de la Perse par les Musulmans et, dans un premier temps, ce sont les Perses qui leur ont appris cette science. Ensuite, les Musulmans se sont familiarisés avec l’astronomie indienne qui était bien développée. Les Perses possédaient leur astronomie propre et avaient aussi des contacts avec les Grecs. Ils connaissaient Ptolémée.

Mohammad Heydari-Malâyeri

Dans un second temps, l’astronomie arabe, qui avait pris connaissance des traductions de Ptolémée et des philosophes grecs, réalisées en particulier à Bagdad, sous la dynastie abbasside, a repoussé complètement les astronomies indienne et perse et a collé aux théories des Grecs. Celles-ci avaient un pouvoir de prédiction sur le mouvement des planètes par l’élaboration de modèles, aspect ignoré par les astronomies perse et indienne. Par exemple, Ptolémée eut l’idée des épicycles, qui expliquent les mouvements des astres.

M. F. Les calendriers sont une application directe de l’astronomie. Il ressort, d’après vos études sur le calendrier iranien, qu’il est le plus précis sur le plan astronomique. Pourquoi dans ce cas n’est-il pas universellement utilisé ?

M.H.M. Lorsque le calendrier grégorien a été élaboré au XVIe siècle, les astronomes du Vatican devaient être en mesure de créer un calendrier solaire aussi précis que le calendrier iranien, mais les contraintes liées aux dates des fêtes religieuses chrétiennes comme Pâques ou l’Ascension, par exemple, ont empêché l’église catholique de le mettre en pratique. Le calendrier iranien, qui n’a pas ces contraintes, est plus précis. Il fait commencer l’année exactement quand le soleil arrive, dans son mouvement annuel, à un point donné du ciel, le point vernal, à l’équinoxe de printemps.

M. F. Etant donné cette précision du calendrier iranien, pourquoi, chaque année, ne peut-on connaître à l’avance l’heure exacte de la fin du Ramadan ?

M.H.M. Tout d’abord, le Ramadan n’appartient pas au calendrier solaire iranien ; il est l’un des mois du calendrier lunaire musulman. Par conséquent, le calendrier iranien n’est pas fait pour cette affaire. Par ailleurs, avec les progrès de la mécanique céleste ces derniers siècles, il est maintenant possible de prévoir mathématiquement le mouvement de la lune. Mais selon la religion musulmane, elle doit être vue à l’œil nu, c’est la tradition. Lorsque des nuages empêchent de voir la nouvelle lune en Iran par exemple, elle doit être visible dans un autre pays musulman pour que la fin du Ramadan soit officialisée.

M. F. Quel fut le rôle joué par le mathématicien et astronome Omar Khayyâm dans la réforme du calendrier iranien ?

M.H.M. Avant la conquête musulmane de la Perse, le calendrier zoroastrien était d’usage. En 1079, le calendrier iranien a été réformé par Omar Khayyâm- poète mais aussi mathématicien et astronome– sur ordre de Jalâleddin Malek-Shâh, chef de la dynastie seldjoukide qui régnait à l’époque sur la Perse, et bien au-delà sur un immense territoire. Cette dynastie utilisait le calendrier lunaire arabe, qui s’avéra inutilisable pour le paiement des impôts, basé sur l’importance des récoltes. On dit aussi qu’Omar Khayyâm était favorable au retour du calendrier iranien en raison de son attachement aux valeurs traditionnelles persanes. Il était soutenu dans cette démarche par Nezâm-ol-Molk, vizir iranien de Jalâleddin Malek-Shâh. Un observatoire fut donc établi, peut-être à Ispahan mais le lieu n’est pas avéré, certaines sources citant Rey ou Neyshâpur, et Omar Khayyâm se mit au travail. Le calendrier qui en résulta fit correspondre Nowrouz au point vernal, ce qui fut obtenu pour la première fois par la précision des calculs d’Omar Khayyaâm, qui permirent d’établir la durée de l’année. Ces observations durèrent une dizaine d’années. Au décès de Jalâleddin Malek-Shâh, des problèmes politiques surgirent et finalement l’observatoire fut fermé.

Après l’invasion mongole au XIIIe siècle une sorte de calendrier hybride, mélange du calendrier chinois-mongole (basé sur un cycle de douze ans avec le nom des animaux pour les années, du Rat au Cochon) et le calendrier lunaire musulman, a été utilisé pendant un certain temps, au moins dans l’administration. Il y eut ensuite un retour vers le calendrier lunaire musulman jusqu’à l’époque pahlavi. Suite à la Révolution constitutionnelle de 1906, il y eut une renaissance des traditions iraniennes, parmi lesquelles la défense et la promotion de la langue iranienne que l’on voulut débarrasser de ses nombreux apports arabes, et le retour au calendrier iranien, devenu officiel en 1925. Le calendrier zoroastrien est utilisé en Iran mais seulement pour commémorer les fêtes de cette religion, il n’est pas le calendrier officiel.

Mohammad Heydari-Malâyeri

M. F. Quelle est la qualité des observations des astronomes arabo-persans faites dans les siècles passés, leurs calculs sont-ils utilisables par les astronomes et astrophysiciens contemporains ?

M.H.M. Les précisions actuelles permises sont telles que les observations faites il y a plusieurs siècles ne peuvent nous être d’aucun recours. Ce qu’on peut dire, c’est que les astronomes arabo-persans sont arrivés à un degré de précision dans les observations, compte tenu des moyens dont ils disposaient, bien supérieure aux résultats des Grecs. Ces observations ont permis de mieux observer les mouvements de la lune, du soleil et des planètes connues à l’époque. Mais les astronomes de cette époque n’ont pas su utiliser ces observations pour faire de vrais progrès parce qu’ils étaient trop attachés aux modèles de Ptolémée, qui considérait que la terre était au centre de l’univers. Aucun d’entre eux n’a remis en cause cette théorie erronée, même si certains l’ont critiquée. C’est Copernic qui l’a fait. Ce dernier a cependant utilisé un certain nombre des calculs effectués par Nassireddin Tûsi, créateur de l’observatoire de Marâgheh en Perse.

M. F. Parmi les astronomes persans, y en a-t-il un en particulier dont les observations ont été très importantes pour l’avancée scientifique ?

M.H.M. Khayyâm pour les mathématiques, a fait des découvertes très importantes que Descartes a réalisées plusieurs siècles après lui. On peut citer également Nassireddin Tûsi pour sa contribution aux modèles de Ptolémée. Biruni, aux connaissances encyclopédiques, mérite aussi d’être cité.

M. F. Pour en venir à l’époque actuelle, le télescope Hubble semble avoir ouvert de nouveaux horizons depuis quelques années ?

M.H.M. Hubble, qui est le résultat d’un partenariat entre la NASA américaine et l’Agence spatiale européenne, est un instrument très important. Mis en service en 1990, c’est un télescope orbital, situé à 500 km d’altitude donc au-dessus de l’atmosphère. Il pallie les problèmes liés à l’utilisation des télescopes terrestres ; l’atmosphère qui enveloppe la terre absorbe la lumière et provoque des turbulences. L’image d’une étoile, qui devrait être un point quand elle arrive au télescope, arrive comme une tache quand elle est observée au télescope terrestre. Si vous avez deux points, l’un très proche de l’autre, le télescope terrestre ne peut les séparer. Depuis une quinzaine d’années, de nouvelles techniques, essentiellement développées en France, permettent de s’affranchir de ces turbulences, mais Hubble est bien plus efficace.

Pour avoir accès à Hubble, comme aux autres télescopes, les équipes d’astronomes doivent présenter un projet étudié par un comité qui attribue les autorisations. En raison des nombreuses demandes, il est très difficile d’avoir accès à Hubble, chaque équipe doit prouver que tout ce qu’il est possible de faire avec un grand télescope terrestre a bien été fait et que la poursuite des études nécessite l’utilisation de Hubble.

En ce qui concerne mes études sur la formation des étoiles massives, j’ai travaillé avec mon équipe pendant une quinzaine d’années avec les télescopes terrestres, ceux de l’Organisation européenne (ESO) au Chili notamment, mais ce sujet d’études nécessitait une capacité de résolution plus importante, que seul Hubble possède pour avancer dans ce projet.

En 1983, quand je faisais ma thèse d’état sur la formation des étoiles dans ces galaxies voisines, j’ai découvert des objets très compacts d’apparence stellaire. J’ai pu démontrer que, en réalité, il ne s’agissait pas d’étoiles mais de nébuleuses, c’est-à-dire des gaz très chauds, à l’intérieur desquels il peut y avoir des étoiles. Nous avons étudié un certain nombre de caractéristiques physiques de ces nébuleuses avec les télescopes terrestres. Mais nous ne pouvions pas avancer davantage car nous avions atteint la limite de précision angulaire des télescopes. Il fallait un télescope spatial pour avancer. Quand nous l’avons utilisé, nous avons obtenu des images qui nous permettaient de voir à l’intérieur, les étoiles en train de naître, et beaucoup d’autres choses. A part nos publications, nos résultats ont fait l’objet de plusieurs communiqués de presse de la part de la NASA et de l’ESA (Agence Spatiale Européenne), qui ont été repris par les médias à travers le monde.

M. F. Un article de presse vous concernant évoque votre projet de dictionnaire étymologique d’astronomie et d’astrophysique (Anglais-Français-Persan). Où en êtes-vous dans son avancement ?

M.H.M. Il avance bien. Je prépare la lettre T, et actuellement, il est disponible jusqu’à la lettre S sur Internet. Une présentation plus sophistiquée de ce travail, sous la forme d’une base de données, est en préparation.

Ce projet est venu du constat que le Persan a besoin de ses propres mots pour exprimer les sciences modernes. C’est une langue indo-européenne comme le grec ou le latin, dans laquelle les mots se forment avec une racine et des préfixes et des suffixes. Je me suis dit qu’en remontant jusqu’aux racines anciennes, je pouvais les adapter et former des termes nouveaux. Si une langue n’exprime pas les idées nouvelles, elle meurt.

La Revue de Téhéran vous remercie d’avoir pris le temps de nous recevoir et de nous avoir communiqué une infime partie de vos immenses connaissances.

M.H.M. C’était un grand plaisir pour moi de discuter avec vous et de vous connaître. Je vous félicite vous-même ainsi que vos collègues en Iran pour ce travail culturel de très bonne qualité. J’ai lu quelques articles de la Revue de Téhéran et je les ai trouvés très intéressants. Je vous souhaite bonne continuation !

Titres et diplômes de Mohammad Heydari-Malayeri
- Doctorat d’Etat ès Sciences Physiques, spécialité Astronomie et Techniques Spatiales, Université Paris VII, 1983 : Etude des complexes région H II / nuages moléculaires dans la galaxie et dans le Grand Nuage de Magellan.
- Doctorat de Troisième Cycle en Astrophysique, Université Paris VII, 1979 : Contribution à l’étude de la structure des régions H II au moyen des observations optiques.
- Diplôme d’Etudes Approfondies (D.E.A.) d’Astrophysique, Université Paris VII, 1975-1976.
- Licence de physique, Faculté des Sciences, Université de Téhéran, 1964-1969.
- Baccalauréat, Mathématiques, Téhéran, 1964.

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