N° 45, août 2009

Parviz Nâtel-e Khânlari :
pionnier du modernisme dans la poésie persane contemporaine


Khadidjeh Nâderi Beni


Parviz Nâtel-e Khânlari, né en 1912 à Téhéran, est originaire de Nâtel. [1] Il est l’un des premiers partisans de la poésie moderne iranienne dont il est lui-même l’un des auteurs. Ce moderniste est pourtant mesuré dans ses jugements et il rejette le mépris des autres partisans de cette nouvelle vision envers la poésie classique.

Parviz Nâtel-e Khânlari

Après ses études primaires, Khânlari entra à l’université de Téhéran dont il sortit docteur. Cette même université l’engagea comme professeur de lettres, fonction qu’il remplit lors de longues et fécondes années de travail. Il s’essaya également à la traduction et, bon connaisseur de littérature française, on lui doit notamment en belles traductions des classiques français. Il vécut quelques temps à Paris, où il séjournait lors de ses recherches sur la phonétique persane. Il a également corrigé et annoté plusieurs manuscrits et ouvrages anciens de la littérature persane, notamment le Safar nâmeh-ye Nâsser-Khosrow (Le journal de voyage de Nâsser-Khosrow) et le Recueil poétique de Hâfez (Divân-e Hâfez).

Auteur, critique et poète, Khânlari fut également le directeur de la célèbre revue littéraire Sokhan (la parole), magazine littéraire hors du commun, publié 35 ans durant. Cette revue fut entre autres le porte-parole des modernistes et de l’avant-garde de la littérature persane et joua un rôle indéniable dans la présentation de ces nouvelles tendances au grand public. Durant sa vie féconde, Khânlari occupa également plusieurs postes politiques, dont celui du ministre de l’Education et de représentant de la région du Mâzandarân à l’Assemblée nationale. Il a siégé également à l’Académie de la Langue persane.

Parviz Nâtel Khânlari s’est éteint en 1990 à 78 ans.


"L’on dit que la pie a une vie de 300 années ou même

plus… L’aigle ne vit que 30 ans."

(Khavâs al-Hayavân [2])

L’aigle [3]

Il y avait un aigle rompu de tristesse

A cause de sa vieillesse

Il découvrit le tour bientôt achevé

Et la mort venant, dans peu de temps, l’emporter

Il lui fallait se détacher de la vie

Et prendre la route d’un autre pays [4]

Mais il décida d’y apporter une solution

Et de trouver une réponse à la question

Un beau jour de grand matin, l’aigle s’en remit

Au sort, s’en allant vers le champ, le but promis

Se préparant au pâturage, un troupeau

Faisait du tapage, craintif, peureux

S’accrochait à des ronces, une perdrix

Et un serpent, tordu, disparaissait à tout prix

La gazelle le vit et s’enfuit,

Dans le champ, elle traçait une ligne de poussière, comme on dit

Mais la cible alors suivie de cet aigle

N’était pas la chasse, en bonne règle

Dans le champ, elle avait fait son nid

Une laide, vilaine et informe pie

Ainsi avait-elle vécu tant d’années

Se nourrissant de charognes putréfiées

L’aigle vola vers la pie, comme l’avalanche

Dès qu’il la vit, assise, sur une branche

"Pour résoudre mon problème, j’ai besoin de toi,

Et puis je serai à ton service" lui dit-il, "Soit."

Elle répondit : "Je vous suis obéissante, Sire,

Et pour toujours, un de vos partisans

Elle prononçait ces mots malgré elle

Se rappelant de l’inimitié mutuelle

Il faut avoir de la prudence !

Une telle amitié n’a pas de sens.

L’aigle confia, affligé, plein d’effroi

"Ma vie n’est qu’une bulle, c’en est fait de moi.

Insatisfait, inassouvi de la vie, je dois

Dans quelques jours laisser toutes mes joies

Pourquoi une telle grandeur, une telle majesté

Ont-elles résisté une si courte durée ?

A l’inverse, ton corps avec toute sa brièveté

Est-il digne de cette longévité ?

Révèle-moi le mystère de ton immoralité

Dis-moi comment as-tu obtenu cette qualité ?"

"Pour atteindre ton but, lui dit la pie,

Il te faut vraiment être tout ouïe

D’accord, votre race n’est en vie que pour quelques ans

اa ne me regarde pas ! Cela vous touche vous et vos parents.

Vous ne descendez jamais à terre

Tant de vols dans le ciel, à quoi cela sert ?!

Ma famille et moi sommes ainsi vivaces,

Car nous menons la vie sur cette terre basse.

D’ailleurs, nous nous nourrissons toujours de carognes

C’est la longévité que nous confère cette besogne.

Viens ! Jusqu’à quand veux-tu parcourir l’au-delà ?

En y cherchant indéfiniment ton repas.

A quatre pas d’ici, au fond d’un jardin

Je connais une nappe dressée dans un coin…"

La pie lui donnait l’adresse d’un cloaque

Qui avait fait des fétidités un lac.

Finalement ils y arrivèrent tous les deux

La pie se vantant de son repas infectieux.

"Grâce à Dieu, je suis assez riche

Pour accueillir mon hôte comme il faut

Ensuite elle se mit à manger de l’ordure,

Poussant l’aigle à l’imiter au fur et à mesure.

Celui qui avait passé ses jours dans le ciel

Et respiré la douceur de l’aube comme le miel

Celui qui avait toute une vie, pris

De la poitrine fraîche des perdrix.

Celui qui avait vu tous les nuages sous ses ailes

Et pour qui les animaux se querellent

S’est rappelé le soleil et les beautés

Installés, là-haut, pleins d’autorité

Il se souvint alors du souffle du beau matin

Mêlé de liberté et de joie sans fin

Maintenant ce n’était pas digne du roi

Qu’il se trouve ainsi méprisé, plein d’effroi

Il battit donc des ailes et se leva, décidé

S’éloignant de la pie et de sa nappe empestée

Il prononçait ces mots d’une haute voix :

"Toi et ta nappe et ta longévité ! Sois !

Pour moi il vaut mieux mourir dans le ciel

Que me soumettre à une vie pestilentielle…"

L’aigle montait davantage dans le ciel

Pour garder ses distances avec cette terre partielle

Un instant il y eut sur l’ardoise azurée [5]

Un point noir qui s’éteignit en une courte durée

 

 

La lune dans le marais

L’eau calme, le ciel calme

Le cœur insouciant, l’âme gaie

Le saule faisait de l’ombre à l’eau

Et les cheveux de l’échanson à la coupe

Heureux celui qui est amoureux

Le saule fait de l’ombre à l’eau

Et le clair de lune à la vague argentée

La chanson du rossignol s’entend de loin

La lune comme une aimée déshabillée

Lave son corps blanc dans l’eau

La chanson du rossignol s’entend de loin

Et jette dans le cœur une agréable mélancolie

La mémoire débordante du souvenir de l’aimé

Le cœur plein de désirs lointains

L’esprit occupé, emprisonné

La mémoire : débordante du souvenir de l’aimé

Ravie de la crainte de séparation et de l’élan de jonction

Le ciel, comme une soie azurée

Dans lequel se mire la lune coquette,

Ajoute la solitude à la tristesse de cette dernière

Le ciel, comme une soie azurée

L’eau comme une coupe décolorée

Ô canotier ! Ne te dépêche pas de partir

Le cœur ne consent pas à quitter cet endroit

Plus lentement ! Attends ! Attends !

Ô canotier ! Ne te dépêche pas de partir

Tu seras payé autant que tu veux

Ce cœur impatient vient à peine de s’endormir

Ne dérange pas, par ton obstination, sa quiétude

Ne bouleverse pas dans l’eau, le calme de la lune

Ce cœur impatient, vient à peine de dormir

Le clair de lune a criblé de camphre

L’eau calme, le ciel calme

La lune dans le marais s’endort d’un sommeil agréable

Elle rêve de son bien-aimé

L’eau calme, le ciel calme

Le cœur insouciant, l’âme gaie

Le saule faisait de l’ombre à l’eau

Et les cheveux de l’échanson à la coupe

Heureux celui qui est amoureux

Sources :
- Dâmâdi, Seyed Mohammad, Fârsi-ye Omoumi (le persan général), Téhéran, Presses de l’Université de Téhéran, 1384/2005.
- Ya’ghoubshâhi, Niâz, Asheghânehâ, Téhéran, Hirmand, 1377/1998
- http://www.aftab.ir (page consultée le 09/06/2008).

Notes

[1Nâtel : situé dans Mâzandarân, au nord du pays.

[2"Les particularités des êtres vivants".

[3Faute d’espace, la majorité de cette longue poésie a été ignorée dans cette traduction. Nous avons quand-même essayé de ne pas altérer le déroulement de l’histoire.

[4L’autre monde.

[5Le ciel.


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