|
Parviz Nâtel-e Khânlari :
pionnier du modernisme dans la poésie persane contemporaine
Parviz Nâtel-e Khânlari, né en 1912 à Téhéran, est originaire de Nâtel. [1] Il est l’un des premiers partisans de la poésie moderne iranienne dont il est lui-même l’un des auteurs. Ce moderniste est pourtant mesuré dans ses jugements et il rejette le mépris des autres partisans de cette nouvelle vision envers la poésie classique.
Après ses études primaires, Khânlari entra à l’université de Téhéran dont il sortit docteur. Cette même université l’engagea comme professeur de lettres, fonction qu’il remplit lors de longues et fécondes années de travail. Il s’essaya également à la traduction et, bon connaisseur de littérature française, on lui doit notamment en belles traductions des classiques français. Il vécut quelques temps à Paris, où il séjournait lors de ses recherches sur la phonétique persane. Il a également corrigé et annoté plusieurs manuscrits et ouvrages anciens de la littérature persane, notamment le Safar nâmeh-ye Nâsser-Khosrow (Le journal de voyage de Nâsser-Khosrow) et le Recueil poétique de Hâfez (Divân-e Hâfez).
Auteur, critique et poète, Khânlari fut également le directeur de la célèbre revue littéraire Sokhan (la parole), magazine littéraire hors du commun, publié 35 ans durant. Cette revue fut entre autres le porte-parole des modernistes et de l’avant-garde de la littérature persane et joua un rôle indéniable dans la présentation de ces nouvelles tendances au grand public. Durant sa vie féconde, Khânlari occupa également plusieurs postes politiques, dont celui du ministre de l’Education et de représentant de la région du Mâzandarân à l’Assemblée nationale. Il a siégé également à l’Académie de la Langue persane.
Parviz Nâtel Khânlari s’est éteint en 1990 à 78 ans.
"L’on dit que la pie a une vie de 300 années ou même
plus… L’aigle ne vit que 30 ans."
(Khavâs al-Hayavân [2])
L’aigle [3]
Il y avait un aigle rompu de tristesse
A cause de sa vieillesse
Il découvrit le tour bientôt achevé
Et la mort venant, dans peu de temps, l’emporter
Il lui fallait se détacher de la vie
Et prendre la route d’un autre pays [4]
Mais il décida d’y apporter une solution
Et de trouver une réponse à la question
Un beau jour de grand matin, l’aigle s’en remit
Au sort, s’en allant vers le champ, le but promis
Se préparant au pâturage, un troupeau
Faisait du tapage, craintif, peureux
S’accrochait à des ronces, une perdrix
Et un serpent, tordu, disparaissait à tout prix
La gazelle le vit et s’enfuit,
Dans le champ, elle traçait une ligne de poussière, comme on dit
Mais la cible alors suivie de cet aigle
N’était pas la chasse, en bonne règle
Dans le champ, elle avait fait son nid
Une laide, vilaine et informe pie
Ainsi avait-elle vécu tant d’années
Se nourrissant de charognes putréfiées
L’aigle vola vers la pie, comme l’avalanche
Dès qu’il la vit, assise, sur une branche
"Pour résoudre mon problème, j’ai besoin de toi,
Et puis je serai à ton service" lui dit-il, "Soit."
Elle répondit : "Je vous suis obéissante, Sire,
Et pour toujours, un de vos partisans
Elle prononçait ces mots malgré elle
Se rappelant de l’inimitié mutuelle
Il faut avoir de la prudence !
Une telle amitié n’a pas de sens.
L’aigle confia, affligé, plein d’effroi
"Ma vie n’est qu’une bulle, c’en est fait de moi.
Insatisfait, inassouvi de la vie, je dois
Dans quelques jours laisser toutes mes joies
Pourquoi une telle grandeur, une telle majesté
Ont-elles résisté une si courte durée ?
A l’inverse, ton corps avec toute sa brièveté
Est-il digne de cette longévité ?
Révèle-moi le mystère de ton immoralité
Dis-moi comment as-tu obtenu cette qualité ?"
"Pour atteindre ton but, lui dit la pie,
Il te faut vraiment être tout ouïe
D’accord, votre race n’est en vie que pour quelques ans
اa ne me regarde pas ! Cela vous touche vous et vos parents.
Vous ne descendez jamais à terre
Tant de vols dans le ciel, à quoi cela sert ?!
Ma famille et moi sommes ainsi vivaces,
Car nous menons la vie sur cette terre basse.
D’ailleurs, nous nous nourrissons toujours de carognes
C’est la longévité que nous confère cette besogne.
Viens ! Jusqu’à quand veux-tu parcourir l’au-delà ?
En y cherchant indéfiniment ton repas.
A quatre pas d’ici, au fond d’un jardin
Je connais une nappe dressée dans un coin…"
La pie lui donnait l’adresse d’un cloaque
Qui avait fait des fétidités un lac.
Finalement ils y arrivèrent tous les deux
La pie se vantant de son repas infectieux.
"Grâce à Dieu, je suis assez riche
Pour accueillir mon hôte comme il faut
Ensuite elle se mit à manger de l’ordure,
Poussant l’aigle à l’imiter au fur et à mesure.
Celui qui avait passé ses jours dans le ciel
Et respiré la douceur de l’aube comme le miel
Celui qui avait toute une vie, pris
De la poitrine fraîche des perdrix.
Celui qui avait vu tous les nuages sous ses ailes
Et pour qui les animaux se querellent
S’est rappelé le soleil et les beautés
Installés, là-haut, pleins d’autorité
Il se souvint alors du souffle du beau matin
Mêlé de liberté et de joie sans fin
Maintenant ce n’était pas digne du roi
Qu’il se trouve ainsi méprisé, plein d’effroi
Il battit donc des ailes et se leva, décidé
S’éloignant de la pie et de sa nappe empestée
Il prononçait ces mots d’une haute voix :
"Toi et ta nappe et ta longévité ! Sois !
Pour moi il vaut mieux mourir dans le ciel
Que me soumettre à une vie pestilentielle…"
L’aigle montait davantage dans le ciel
Pour garder ses distances avec cette terre partielle
Un instant il y eut sur l’ardoise azurée [5]
Un point noir qui s’éteignit en une courte durée
La lune dans le marais
L’eau calme, le ciel calme
Le cœur insouciant, l’âme gaie
Le saule faisait de l’ombre à l’eau
Et les cheveux de l’échanson à la coupe
Heureux celui qui est amoureux
Le saule fait de l’ombre à l’eau
Et le clair de lune à la vague argentée
La chanson du rossignol s’entend de loin
La lune comme une aimée déshabillée
Lave son corps blanc dans l’eau
La chanson du rossignol s’entend de loin
Et jette dans le cœur une agréable mélancolie
La mémoire débordante du souvenir de l’aimé
Le cœur plein de désirs lointains
L’esprit occupé, emprisonné
La mémoire : débordante du souvenir de l’aimé
Ravie de la crainte de séparation et de l’élan de jonction
Le ciel, comme une soie azurée
Dans lequel se mire la lune coquette,
Ajoute la solitude à la tristesse de cette dernière
Le ciel, comme une soie azurée
L’eau comme une coupe décolorée
Ô canotier ! Ne te dépêche pas de partir
Le cœur ne consent pas à quitter cet endroit
Plus lentement ! Attends ! Attends !
Ô canotier ! Ne te dépêche pas de partir
Tu seras payé autant que tu veux
Ce cœur impatient vient à peine de s’endormir
Ne dérange pas, par ton obstination, sa quiétude
Ne bouleverse pas dans l’eau, le calme de la lune
Ce cœur impatient, vient à peine de dormir
Le clair de lune a criblé de camphre
L’eau calme, le ciel calme
La lune dans le marais s’endort d’un sommeil agréable
Elle rêve de son bien-aimé
L’eau calme, le ciel calme
Le cœur insouciant, l’âme gaie
Le saule faisait de l’ombre à l’eau
Et les cheveux de l’échanson à la coupe
Heureux celui qui est amoureux
Sources :
Dâmâdi, Seyed Mohammad, Fârsi-ye Omoumi (le persan général), Téhéran, Presses de l’Université de Téhéran, 1384/2005.
Ya’ghoubshâhi, Niâz, Asheghânehâ, Téhéran, Hirmand, 1377/1998
http://www.aftab.ir (page consultée le 09/06/2008).
[1] Nâtel : situé dans Mâzandarân, au nord du pays.
[2] "Les particularités des êtres vivants".
[3] Faute d’espace, la majorité de cette longue poésie a été ignorée dans cette traduction. Nous avons quand-même essayé de ne pas altérer le déroulement de l’histoire.
[4] L’autre monde.
[5] Le ciel.