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Parmi les collines proches des ruines de l’antique cité d’Afrâsiab, se dressent les vestiges d’un étonnant observatoire astronomique du XVe siècle. Œuvre du roi-astronome de génie, Ulûgh Beg (1394-1449), petit-fils de Timour Lang (Tamerlan), son emplacement fut découvert en 1908 par l’archéologue russe Vladimir Viatkine.
Ce que l’on peut encore en voir aujourd’hui est la partie souterraine d’un quadrant fixe géant, le plus grand quadrant de 90° jamais vu - son rayon était à l’origine de 40 mètres - mais dont seuls 60° étaient utilisés. Taillé dans la roche à vingt mètres sous terre afin de le protéger des séismes, l’arc subsistant de onze mètres est constitué de deux parapets de marbre gradués en degrés et en minutes. Ces vestiges sont protégés par une voûte récente précédée d’une porte monumentale, inspirée à la fois des gravures représentant l’observatoire et des édifices de la même époque. Autour de cette bâtisse, a été tracé le plan circulaire de 48 mètres de diamètre qu’occupait le bâtiment d’origine. Placé sur un axe nord-sud, il permettait de repérer la position du soleil, de la lune et des étoiles. Il se prolongeait à l’origine jusqu’au sommet d’un édifice haut de 45 mètres qui comprenait trois niveaux dont les murs décorés de fresques racontaient les astres et le système solaire. Les pièces du rez-de-chaussée étaient surmontées d’arcades servant d’instruments astronomiques. Sans équivalents dans le monde connu de l’époque, ses instruments permettaient des mesures d’une précision incomparable et firent alors de Samarkand la capitale de l’observation des étoiles.
Le site est complété par un petit musée où l’on peut suivre l’évolution des découvertes astronomiques en Occident comme en Orient, ainsi que la vie des principaux savants et poètes de l’époque timouride. Son plafond représente la voûte céleste telle qu’elle était connue au XVe siècle et des fresques évoquent la vie d’Ulûgh Beg.
A la mort de Tamerlan en 1405, son empire se désagrège peu à peu, victime des luttes fratricides que se livrent les prétendants. Le fils aîné de Mirân Shâh, Khalil Sultân, s’empare du pouvoir, mais provoque la ruine de Samarkand, la capitale que s’était choisie Tamerlan en 1369, et est chassé par Shâhrouk, le deuxième fils vivant de Tamerlan, qui accède à son tour au trône des Timourides en 1407. Ayant fixé sa capitale à Hérat en Perse (aujourd’hui en Afghanistan), où il résidait auparavant en tant que gouverneur du Khorâssan, il nomma son fils Ulûgh Beg gouverneur de Samarkand, seigneur de Transoxiane (nom antique de la région qui correspond de nos jours à l’Ouzbékistan et au sud-ouest du Kazakhstan). A la mort de son père en 1447, Ulûgh Beg lui succède mais il sera assassiné deux ans plus tard par son fils Abdul-Latif, entouré de fanatiques religieux qui ne toléraient pas que le roi puisse oser discuter de l’existence de Dieu avec ses étudiants.
Sous le règne d’Ulûgh Beg, homme de sciences et fin lettré, Samarkand brille encore d’un dernier éclat puis, ce qui restait de l’empire de Tamerlan tombe vers 1500 entre les mains des nouveaux envahisseurs turcs, les Ouzbek. La dynastie de Tamerlan connaît à nouveau un moment de gloire lorsque Babour, son descendant, s’empare de Delhi en 1526 et crée la dynastie mongole, une centaine d’années après la mort de son prestigieux et terrible aïeul.
Le nom d’Ulûgh Beg, titre équivalent en turc à grand émir, lui fut donné très jeune par son grand-père. Son véritable prénom était celui de son arrière-grand-père, Mohammad Taragay. La passion d’Ulûgh Beg pour les mathématiques, l’histoire, la théologie, la médecine, la poésie et la musique a donné à la ville de Samarkand une réputation de sciences et de culture qui attira l’astronome turc Qâzi Zâdeh Roumi. C’est ce dernier qui lui fit découvrir cette science, qui devint son domaine de prédilection.
En 1420, Ulûgh Beg fit bâtir à Samarkand une médersa où s’effectuaient, avant la construction de l’observatoire, achevé en 1428, les observations astronomiques. C’était alors la plus grande université d’Asie Centrale, avec sa centaine d’étudiants. Sa fonction principale était celle d’une école coranique classique mais on y enseignait aussi la littérature, la poésie, les mathématiques, l’astronomie. On suppose qu’Ulûgh Beg enseigna lui-même les sciences à la médersa, ou tout au moins, qu’il y eut des échanges avec les étudiants.
Il s’entoura d’un groupe de soixante-dix mathématiciens et astronomes, parmi lesquels, outre Qâzi Zâdeh Roumi, se trouvaient les illustres Al-Kâshi et Ali Quchtchi. L’observatoire leur permit, bien avant l’utilisation du télescope, de déterminer les coordonnées de plus de 1000 étoiles ; première entreprise de cette ampleur depuis Claude Ptolémée (savant grec du IIe siècle de l’ère chrétienne qui développa un système cosmologique ingénieux, rendant compte des mouvements astronomiques observés à son époque). Ulûgh Beg conçut en outre des modes de calcul pour prévoir les éclipses et mesura l’année stellaire avec une précision qui équivaut à celle des calculs informatiques d’aujourd’hui. Il réussit à déterminer le cycle de rotation de la planète Saturne et à calculer la durée de l’année à une seconde près par rapport à notre science moderne. Ses travaux aboutirent à la publication des Tables sultaniennes (Zij-e soltâni, en persan) dont la précision resta inégalée pendant 200 ans. Après sa mort, Ali Quchtchi partit avec une copie des Tables sultaniennes à Tabriz, puis à Istanbul, d’où elles atteignirent l’Europe.
Non contents de supprimer l’homme de science, les fanatiques responsables de la mort d’Ulûgh Beg détruisirent ses réalisations, au premier rang desquelles se trouvait l’observatoire, œuvre qu’ils jugeaient hérétique. La medersa d’Ulûgh Beg continua à fonctionner jusqu’au XVIIe siècle mais la vie culturelle des Timourides se concentra à Hérat dans la seconde moitié du XVe siècle. Elle reste un des trois joyaux de l’architecture islamique visibles sur l’exceptionnelle place du Registan à Samarkand.
Lorsque les observations d’Ulûgh Beg furent connues en Occident - par une copie de son Catalogue des étoiles retrouvée dans une bibliothèque d’Oxford en Angleterre en 1648 - la communauté scientifique fut unanime pour inscrire leur auteur dans la prestigieuse lignée des grands savants.
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