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Mohammad Ibn Hassan Djahroudi Tûsi, surnommé Khâdjeh Nassireddin Tûsi, naquit en l’an 1200 à Tûs. Il se passionnait pour les sciences, et devint très jeune le plus grand mathématicien, astronome et philosophe de son temps. Il a ainsi été l’une des plus influentes personnalités du monde musulman. Il apprit les sciences théologiques auprès de son père, et la logique et la philosophie auprès de son oncle, Bâbâ Afzal Ayoubi Kâchâni. A la fin de ses études à Neychâbour, il était déjà considéré comme un grand savant.
Quelques années plus tard, l’invasion mongole survint et les villes iraniennes tombèrent une à une. Cependant, de nombreuses forteresses ismaélites résistèrent farouchement et les Mongols durent les contourner sans pouvoir les conquérir. Les Mongols ne se contentèrent pas de saccager les villes mais procédèrent aussi à l’extermination systématique des populations. Nassireddin Tûsi fut au nombre des rares survivants de Neychâbour. Il avait 28 ans à l’époque et se réfugia dans sa ville natale Tûs. Il y demeura six ans, dans l’angoisse d’un avenir incertain.
Tûsi vécut cette période de sa vie dans un isolement total, et se plongea dans ses recherches et contemplations philosophiques. Dans le même temps, il rédigea de magnifiques ouvrages sur la métaphysique, les sciences naturelles, la morale, la politique et la théologie. Lorsqu’il sortit de son isolement, ses livres devinrent immédiatement des ouvrages de référence. Les historiens avancent diverses hypothèses sur le rapprochement entre Nassireddin Tûsi et les Ismaélites. Cependant, une chose est sûre : il passa, bon gré mal gré, plusieurs années de sa vie dans les forteresses des Ismaélites, qui le protégeaient contre les armées mongoles.
En 1237, Hulagu Khân mit fin à la résistance des Ismaélites et Tûsi se mit alors au service du khan mongol. Conscient de la situation déplorable de l’ensemble des pays musulmans, Nassireddin Tûsi savait très bien qu’une victoire militaire sur les occupants mongols était impossible. Il se donna alors pour mission de sauvegarder l’héritage culturel des musulmans.
Un jour, Hulagu Khân demanda à Nassireddin Tûsi de prédire un événement important pour qu’il puisse assister plus tard à son déroulement en personne. Tûsi lui dit que le jeudi suivant, le khan pourrait assister à une éclipse lunaire. Au moment de l’éclipse, Hulagu Khân dormait et les gardes ne permirent pas à Nassireddin Tûsi de le voir. Ce dernier trouva alors une solution : il connaissait une ancienne légende mongole selon laquelle l’éclipse lunaire résultait de l’emprisonnement de la lune par un dragon. Pour la libérer, il fallait battre très fort des récipients de cuivre afin de faire peur au dragon. Nassireddin rappela cette légende aux gardes. Ces derniers provoquèrent alors un grand vacarme qui réveilla le khan, lequel assista au spectacle céleste.
Le lendemain, il demanda à Tûsi : « Hier soir, nous savions d’avance qu’il y aurait une éclipse. Si nous n’en avions rien su, cet événement céleste aurait-il eu quand même lieu ? » Nassireddin lui répondit que rien n’aurait pu empêcher la survenue de l’éclipse. Hulagu lui demanda alors : « Si nous ne pouvons pas empêcher ces événements de se produire, à quoi cela sert-il de les prévoir par avance ? ». Sachant que le khan ne comprendrait guère ses explications scientifiques, Nassireddin Tûsi trouva une autre manière de répondre. Il demanda un jour à quelques amis de jeter de lourds plateaux de cuivre d’une hauteur proche de la tente de Hulagu Khân lorsque ce dernier rentrerait de chasse. Tûsi accompagna lui-même le khan et au retour, quand ils furent près de la tente, il le prévint que des bruits effrayants se feraient entendre et que le khan devrait garder son calme. Quand on entendit les bruits, Tûsi et Hulagu Khân conservèrent leur sang-froid, alors que les autres coururent en tout sens, effrayés. Tûsi dit alors au khan : « La prévision des événements célestes par les astronomes leur permet de maîtriser leur peur, et me permet aussi de rester proche du khan mongol. »
Hulagu Khân chargea Nassireddin Tûsi de bâtir un observatoire à Marâgheh dès 1240. Pour financer ce grand projet, Hulagu y consacra un budget spécifique, en plus des revenus de l’ensemble des œuvres pieuses du royaume. Nassireddin Tûsi dépensa un dixième de ce budget pour les travaux de l’observatoire et l’acquisition des instruments et des livres. Puis il bâtit près de l’observatoire une très grande bibliothèque de près de 400.000 manuscrits collectés par lui à Bagdad, Damas, Beyrouth et en Arabie. Le projet comprenait également la construction d’une école scientifique et des logements pour les maîtres et les étudiants. Les travaux de ce grand complexe durèrent treize ans. Hulagu Khân décéda en l’an 1264 mais Nassireddin Tûsi demeura à la tête de l’administration de l’observatoire jusqu’à la fin de sa vie.
Avant l’année 1214, pendant l’invasion des Mongols, Nassireddin Tûsi s’était réfugié dans la forteresse de Nâssereddin Mohtacham, commandant ismaélite. Cela lui permit de pouvoir rédiger quelques uns de ses ouvrages sur la morale, la logique, la philosophie et les mathématiques, parmi lesquels on peut citer son célèbre livre Akhlâgh-e Nâsseri (Traité de morale Nâsseri). La majorité des livres et de la correspondance de Tûsi a été rédigée en arabe. L’influence et l’étendue de ses connaissances seraient comparables à celles d’Avicenne. Si Avicenne était un médecin remarquable, Tûsi fut un mathématicien sans égal. Nassireddin Tûsi écrivit cinq principaux ouvrages en mathématiques et en logique, dont le plus célèbre est l’Assâs al-Eghtebâss (Principes de l’argumentation).
Nassireddin Tûsi commenta également les ouvrages de mathématiques des anciens maîtres grecs dont Euclide, Apollonius, Archimède et Ptolémée. De plus, il est l’auteur de remarquables ouvrages en sciences naturelles, notamment en géologie. En trigonométrie, on peut citer son Djavâme’ al-Hessâb (Mathématiques générales). Tûsi fut le premier à traiter la trigonométrie en tant que discipline mathématique distincte. Il réussit à résoudre plusieurs problèmes importants de trigonométrie classique dans son traité Chekl al-Qetâ (Traité sur la forme du quadrilatéral).
Nassireddin Tûsi fut le plus grand astronome de son époque. L’un de ses ouvrages importants en astronomie a été le Zij-e Ilkhâni (Les Tables ilkhanides), rédigé en 1252. Ce livre contient des tables de calcul des mouvements des corps célestes. Dans son traité Tazkira Fi Elm al-Hey’at (Traité sur l’astronomie), Tûsi passa à la critique de l’astronomie de Ptolémée. Ce livre est l’ouvrage le plus important du Moyen آge sur les modèles mathématiques du mouvement des planètes. Bien connu des savants byzantins de l’époque, il eut plus tard une grande influence sur les travaux de Copernic.
Mathématicien et astronome, Nassireddin Tûsi était également un homme politique et religieux. Pour lui, la religion était la voie la plus sûre pour atteindre l’éternité. Même s’il fit toujours l’éloge de la connaissance, pour lui la seule vraie connaissance ne découlait que de la foi religieuse. Il fut aussi un des philosophes musulmans importants du Moyen Age ; il réussit à rétablir le néoplatonisme avicennien après deux siècles et prépara ainsi la transition avec la théosophie orientale de Sohrawardi. Sa philosophie était située à mi-chemin entre ces deux tendances. Son livre intitulé Tadjrid al-Aghâyed (L’abstraction des croyances) fait de lui l’un des plus grands théologiens du chiisme duodécimain. Au XIIIe siècle, Nassireddin Tûsi fut la figure la plus éminente du mouvement de renaissance des sciences et de la culture du monde musulman.
En 1273, Nassireddin Tûsi et ses disciples se rendirent à Bagdad pour collecter les livres ayant survécu aux pillages des Mongols et c’est près de Bagdad, à Kadhimiya, qu’il décéda cette même année.
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