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Picasso et les maîtres
Paris, galeries nationales du Grand Palais,du 8 octobre 2008 au 2 février 2009
Il s’agissait d’une très vaste et importante exposition, essentiellement de peinture où les œuvres de Picasso ont été exposées aux côtés de celles de grands maîtres du passé, ou plutôt, faut-il dire, où les œuvres se sont confrontées les unes aux autres. L’ambition de l’exposition fut de montrer comment Picasso a pris en charge ces maîtres dans son œuvre picturale, comment il s’en est saisi, les a interprétés, transmutés et restitués en des œuvres personnelles et singulières.
Du point de vue du dialogue entre Picasso et ces maîtres l’exposition fut très réussie, le choix des maîtres fut somptueux et il a rendu compte de ce que put être une partie du panthéon de cet immense artiste, Picasso ; ainsi, pèle mêle on a rencontré des œuvres décidément majeures par exemple de Poussin, Cézanne, Gauguin, Manet, Delacroix, El Greco, Rembrandt, Velasquez, Renoir, Ingres. Cette confrontation entre les maîtres et Picasso fut d’une exceptionnelle qualité en ce sens que le visiteur put jouir d’un contact physique et spirituel rare et même unique avec les œuvres exposées, ordinairement dispersées de par le monde. Et il a constaté immédiatement la réponse picturale de Picasso, réponse qui déborde et s’oppose, réponse de fureur et d’expressivité, d’urgence de peindre, d’immédiateté, réponse qui se gausse, continue et revivifie l’œuvre des maîtres. A l’art élaboré, normé, académique de certains comme Poussin, Ingres ou Velasquez par exemple, la réponse de Picasso est une contestation brutale. L’art de Picasso est effectivement violent, immédiat, urgent : là où d’autres raisonnaient, calculaient, finissaient, lissaient et polissaient, lui répond par l’explosion. Le temps-durée n’est plus le même au vingtième siècle qu’auparavant.
Picasso opéra, pour l’essentiel du début du vingtième siècle au début des années soixante dix (il meurt en 1973) et on peut certainement retenir de son œuvre deux périodes extrêmement marquantes, pour lui-même comme pour l’histoire de l’art : d’abord le cubisme analytique avec lequel l’art de la peinture, sans nul doute sous la pression de la photographie qui peu à peu occupe le terrain de la représentation et de la mimésis et interroge la nature de celles-ci, va devenir autre, va s’assigner d’autres tâches et finalités.
Puis, l’autre période, durant des décennies, sera de plus en plus celle de l’extrême liberté d’une peinture d’expression, terriblement expressionniste comme posture artistique marquante. Entre la courte période cubiste analytique et la poursuite de son œuvre Picasso passa d’un moment de théorisation et de réflexion sur la nature et le rôle de la peinture, moment qui va lui permettre de s’affranchir de la pesanteur des dogmes comme des académismes obsolètes, à un autre moment, celui d’une œuvre libre d’être elle-même, libre de se faire, pour dire le monde et la vie, la vitalité et la rage. Bien évidemment l’exposition ne pouvait être limitée au seul dialogue avec les maîtres présentés là ; Picasso déborde de ce cadre, il se révèle lui-même maître et leader de tout un monde de la peinture du vingtième siècle, celui de l’expressionnisme. Les œuvres tardives de la fin des années soixante et du début des années soixante dix, celles du Picasso allant vers ses quatre vingt dix ans, sont incroyablement sauvages et fraîches en même temps qu’elles semblent pouvoir émaner d’artistes d’une jeune génération comme par exemple Basquiat ou certains néo expressionnistes allemands.
Cependant ayant vu cette exposition, on ne manquera pas de se poser la question des autres maîtres de Picasso. Car ici le choix des maîtres est celui d’une histoire officielle écrite par le musée ; or Picasso eut bien d’autres maîtres dont, pourtant, le rôle fut décisif : on ne peut ignorer sa curiosité immense à l’égard de toute forme d’expression et de création humaines. Picasso fut un passionné d’art africain et d’arts des autres civilisations que la sienne, tout comme il fut passionné par l’antiquité et la préhistoire. Et puis Picasso prit partout et à tous la matière première, les idées, les manières, autant sans doute à ses confrères et contemporains, plus modestes peintres qu’il côtoya ou avec lesquels il fut lié qu’aux artistes des autres domaines comme ceux de la photo, de la scénographie, de la poésie ou de la musique.