N° 14, janvier 2007

Le mouvement cubiste, origines et manifestations


Mohsen Assibpour


Si l’on veut donner le sens du mot "cubisme" tel qu’il serait présenté dans un dictionnaire, on pourrait dire que c’est une école d’art qui se proposait de représenter les objets décomposés en éléments géométriques simples. Mais si on se demande qui est " cubiste ", la première réponse sera : " C’est un peintre de l’école Braque-Picasso ". Cette définition fut proposée le 23 avril 1911 dans le journal "Le Petit Parisien ", peu après l’ouverture du scandaleux Salon des Indépendants qui eut lieu du 21 avril au 13 juin de la même année. Les cubistes - y compris Albert Gleizes, Jean Metzinger et Fernand Léger - eurent leurs propres salles d’exposition dans le salon. Les travaux de Pablo Picasso et de George Braque n’étaient pas inclus dans la présentation.

George Braque, Nature morte aux instruments de musique

Les origines du mot " cubisme " peuvent être retrouvées dans le travail d’Henri Matisse (1869-1954), qui était l’un des membres du jury du Salon d’Automne. Il avait ainsi annoncé que George Braque y avait exposé des tableaux " à petits cubes", ainsi qu’il décrivit l’une de ses œuvres réalisée en 1908. Pour avoir une autre définition du mot, nous pouvons citer Daniel Henry Kahnweiler qui, dans son livre L’Ascension du Cubisme, qualifie le cubisme de " deux lignes se rencontrant en haut avec entre ces deux, plusieurs cubes ".

Comme Matisse l’a rappelé, c’est George Braque qui créa la première oeuvre cubiste et qu’il établit ainsi le cubisme en tant qu’orientation stylistique. A la suite de critiques négatives, Braque retira la toile du Salon d’Automne située dans le Grand Palais, et ce à la veille de l’ouverture de l’exposition. Par la suite, le terme " cubisme " apparut pour la première fois dans un rapport sur le Salon des Indépendants en 1909. Désormais, les tableaux de Pablo Picasso et de George Braque furent classés comme faisant partie intégrante de ce nouveau mouvement. Quelques années après son émergence, Picasso précise cependant : " Nous n’avons pas développé le cubisme intentionnellement. Nous avons seulement voulu exprimer ce qui était à l’intérieur de nous. Personne ne nous a dicté un programme, et nos amis les poètes ont attentivement suivi nos efforts sans jamais rien nous imposer. De même, il a souligné que : " Le cubisme a des buts évidents. Nous ne le voyons que comme un moyen d’exprimer ce que nous percevons par l’oeil et par l’esprit, en même temps que nous utilisons toutes les possibilités qui se trouvent à l’intérieur des propriétés naturelles du dessin et de la couleur. Pour nous, cela devient la source d’une joie inattendue, un réservoir de découvertes. " Personne ne put, à l’époque ou plus tard, parler d’une école de Picasso ou de Braque. Et même jusqu’a la fin de la période dite " cubiste ", il reste difficile de l’associer à un programme ou à une école clairement définie.

Henri MATISSE, La chambre rouge

Guillaume Apollinaire (1880-1918) écrivit en 1912 : " Le nouveau tableau est nommé " cubiste ". Il a reçu ce nom à partir d’un terme de moquerie construit par Henri Matisse qui observa les formes cubiques dans un tableau de bâtiments." En octobre 1911, dans le journal parisien " L’Intransigeant ", il qualifie Picasso de " créateur du cubisme " : " En général, le public croit qu’un tableau cubiste est un tableau en forme de cube. Mais il n’en est pas ainsi. En 1908, nous avons vu plusieurs tableaux peints par Picasso et représentant simplement des maisons tristes qui donnent une impression de cubes au public. " C’est ainsi que cette dernière école artistique fut nommée cubiste.

Même si les avis sur les origines du cubisme sont partagés, il existe un accord sur le fait que Pablo Picasso, de par la réalisation des Demoiselles d’Avignon, ouvre la voie vers un des grands bouleversements artistiques du XXe siècle. Ce tableau, peint entre 1906 et 1907, marque les débuts de la " pensée cubiste ". Picasso était ainsi un des premiers artistes à se méfier des règles de l’espace perceptible, de coloration naturelle et de représentation des corps dans les proportions naturelles. La somme de ces innovations qui allaient à l’encontre de toutes les conventions académiques du XIXe siècle inquiéta beaucoup de contemporains de Picasso et fut parfois à la source d’une critique violente.

"Je peins les choses comme je les pense, pas comme je les vois"

Pablo PICASSO, Trois musiciens

En 1936, une femme entra dans la vie de Picasso ; une jeune photographe yougoslave qui s’appelait Dora Aar, et donc le vrai nom était Dora Markovien. Amie du poète Paul Eluard, elle fréquentait les cénacles des surréalistes et parlait l’espagnol. Durant quelques années, les portraits de ses deux muses, Marie Terse blonde et Dora Aar avec ses cheveux noirs, figurèrent inlassablement dans les toiles de Picasso. Dans ce tableau brillant et somptueusement coloré, Dora Aar, d’allure majestueuse, est représentée assise dans un fauteuil, souriante et appuyant sa tête sur l’une de ses mains. Le visage est dessiné à la fois de face et de profil, avec un œil rouge et un autre vert qui regardent dans différentes directions. Pour beaucoup de gens, ces déformations sont les caractéristiques de l’art de Picasso. De toute façon, malgré certaines distorsions, ou peut-être même grâce à elles, Picasso dépeint une ressemblance frappante qui peut même être qualifiée de " plus vraie que la vie". La déformation sert tout d’abord un but expressif : il s’agit moins de reproduire la réalité que d’exprimer ses possibilités, de la saisir dans tous ses aspects et facettes. Alors qu’Ingres utilisait le miroir pour représenter son modèle à la fois de face et de profil, comme c’est le cas dans les portraits de Madame Moitessier et de la comtesse d’Haussière, Picasso avait quant à lui recours à une synthèse graphique, à une fusion picturale développée au travers de ses expériences cubistes.

Tout est employé et exploité pour exprimer au mieux les caractéristiques physiques et le tempérament du modèle tel qu’il vit dans la réalité. Certaines marques sont également spécifiques à un modèle : ainsi, pour Dora Aar, les ongles sont recouverts d’un vernis rouge, les mains sont longues et gracieuses, les cheveux, noirs ; les yeux, larges et sombres… Le visage prend soudain du volume par un jeu de couleurs et d’éclairage qui fait ressortir la joue telle une pêche. La physionomie est agréable, mais distante. Les yeux étincellent de vie et d’intelligence. D’autre part, les signes croisés et les stries composant la structure du fauteuil, la forme carrée de la jupe et les rayures verticales et horizontales de l’arrière-plan donnent l’impression d’être dans une cellule de prison ou de monastère, et transmet ainsi l’illusion d’un modèle enfermé dans les limites d’un espace étroit et cruel.

Références :

1. GANTEFUHRER-TRIER, Anne, Le cubisme, TASCHEN, Kolyma, 2004

2. BERNADAC, Marie-Laure, Picasso Museum, Réunion des Musées Nationaux , Paris , Prestel-Verlag, Munich , 1991 .


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