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Je ne crie guère
Je m’approche
Et tu m’entendras !
a poésie, en quête d’essentiel, rend le monde obscur, comme disait Mallarmé. Elle se nourrit à ce titre d’impressions et de sentiments ambigus ; de l’étrangeté du monde que le poète cherche à saisir à chaque " coup de vers ", pour déboucher au final sur un univers encore plus complexe ; plus pesant. A cette pesanteur vient parfois répondre la légèreté de l’humour. Celui-ci, tout comme la poésie, est une fenêtre ouverte sur l’existence, dont il nous révèle une autre facette. L’humour ne permet-il pas en première et dernière analyse, d’expérimenter une modalité parmi d’autre de la (trop galvaudée) " joie de vivre " ? Anti-pathétique, il nous fait toucher terre ; il donne corps aux idées les plus élevées ; il équilibre en passant le monde qui titube.
Nombreux sont les poètes qui ont agrémenté leurs textes de notes d’humour. Les Iraniens sont héritiers en la matière, d’une riche culture, inépuisable, depuis Saadi ou Mowlânâ, jusqu’aux auteurs plus récents, Iraj-Mirzâ en tête, ou Dehkhodâ. Omrân Salâhi, également poète et humoriste contemporain, mérite d’occuper une place de choix dans ce vaste panthéon.
Né en 1946, il débuta sa carrière de poète très tôt, dès l’âge de 15 ans. Dans ses textes, de factures diverses, les vers rimés côtoient les vers libres. Ils sont également teintés d’humour ; d’un humour qui les rend à la fois simples et plaisants. Souvent présent dans l’ensemble de l’œuvre, l’humour de l’auteur, au demeurant noir, offre par sa noirceur même, un tableau saisissant de la tragédie de notre condition, de notre solitude. Ainsi donc, sa poésie se nourrit-elle de la dureté, mais également des aléas de la réalité quotidienne, de la prose du monde.
En octobre 2006, Salâhi ferma les yeux sur un monde dont il éprouva les douleurs, mais qu’il ne prit finalement jamais au sérieux. Depuis, pour certains du moins, et dans un monde où l’emporte tous les jours un peu plus la tristesse sur la joie, son rire est venu à manquer.
Les nuages
Se rassemblèrent des quatre coins du ciel
Tu partis
Et après toi
La pluie se mit à tomber.
Un Gars de Javâdieh
Je suis
De Javâdieh [1]
D’Amirieh
De Mokhtâri
De Gomrok
Pas de différence
Toutes ces rivières accablées
Conduisent à la place Râh-âhan
La place Râh-âhan
Est un grand lac
Un lac de boue
Avec son île
Et son habitant permanent
J’ai dit : permanent ?!
L’eau coule
De quatre rivières
Rivière Javâdieh
Rivière Amirieh
Simetri
Shush
Où le malheur
Fait office de voile.
Je conduis
Un bateau empêtré dans la boue
Je suis de Javâdieh
En passant le pont
Commencent
Les misères de mon pays
O chemin de fer !
O frontière !
Recouvre mes yeux
Avec la fumée de l’air !
Ne me laisse rien voir
Là-haut
Ne me laisse rien vouloir
Ne laisse point l’espoir
En moi s’enraciner !
Ne laisse guère
O fumée !
Un jour
Quand tu passeras
Dans notre quartier
Emmène avec toi ton parapluie
Ici, le temps est toujours gris
Le ciel est toujours couvert
Il pleut toujours
Une pluie de larme
Une pluie de douleur
Une pluie de malheur
Une pluie de chien
Une pluie de merde
Il pleut toujours ici
Quand il pleut
C’est à dire toujours
Nous devons prier
Dieu
De renforcer
Nos toits de terre
Nous devons prier
Que les murs
De leurs épaules
Ne déposent pas sur le sol
Le linceul des toits
Nous devons prier
Que par les fissures
Le chant inquiet
De la goutte de pluie
Ne se répercute
Sur le récipient
Nous prions avec la mère
Dont les mains crient de douleur
Dont les yeux brûlent
Avec à ses côtés
Un tas de linge
Usagé, déchiré.
Au bout de Javâdieh
De l’autre côté de Nâzi-âbâd
Se trouve l’Abattoir
Les gens de notre quartier
Se réveillent chaque matin
Avec l’odeur du sang
Dans l’odeur piquante
Des excréments
Le printemps se bouche le nez
Lorsqu’il passe au-dessus
Et les chiens de Nâzi-abâd
S’affolent de l’odeur
Des cadavres anciens
Leur lieu de rendez-vous
C’est l’Abattoir
Où les tas de moutons
Me rappellent
L’image
Des crématoires !
L’abeille et la fleur
La petite abeille
Se posa sur la fleur du mont
Et enivrée
Lui donna des baisers sur les lèvres
La main de la nuit
Tenait pour elle
Depuis les arbres
En leur milieu
La lanterne de la lune
Sur le village
Ton souvenir soudain
Comme exhalés
Les parfums dans l’air
Remplit le ciel de mon cœur
L’abeille et la fleur
En cette agréable nuit
Sous ce clair de lune
Adoptèrent
Et mon rôle
Et la couleur de tes lèvres.
Pour voir l’amour
Pour voir l’amour
Tu dois
Mettre tes yeux
Contre
La fenêtre d’une maison
Menant par un vestibule
A une échelle, à une petite fenêtre
S’ouvrant sous une pierre
Derrière un mont
Ou sur un immense désert.
La corde à linge
Par un temps froid
Après la pluie
Je vis un homme
Misérable et accablé de toux sèches
Etendre
Sa nudité
Sur la corde à linge.
Prends la clé
Prends la clé
Pour ouvrir les eaux
Où étendent les bateaux
Acclamants
Les voiles de leur chant
Prends la clé
Pour ouvrir le ciel
Où les oiseaux de l’amour
Couvrent
L’horizon
De leurs ailes bleues
Prends la clé
Pour ouvrir les noms !
Photo souvenir
Sur la chaise
Je me suis assis
Je fermai les boutons de ma veste
Et tenant une fleur
A la main
Dans le bruissement de l’eau
Et le tumulte des enfants
Je pris une photo souvenir
Avec
La solitude.
Le feu et la source
Errante
Mon âme
Sent la forêt
Et ton regard
Y plante le feu
Tes yeux sont une mystérieuse fenêtre
Si je savais
Derrière
Qui se tient caché !
Si je savais
Qui t’habite !
Si
Feu tu étais !
Pour brûler
La mauvaise herbe de mon doute
Si
Source tu étais !
Pour arroser
La graine dormante de mon espoir.
[1] Javâdieh, Amirieh, Mokhtâri, Gomrok, Simétri, Shush et Nâzi-âbâd sont des quartiers du sud de Téhéran.