N° 14, janvier 2007

Culture populaire iranienne*
Œuvre posthume de Sâdegh Hedâyat


Katayoon Katouziyân


" Mais ces mêmes chansons populaires qui semblent ridicules, sont encore appréciées et chantées ; nous-mêmes nous les chantions quand nous étions enfants et aujourd’hui encore, nous aimons les entendre. Si elles étaient futiles, elles disparaîtraient certes. Or, dans leur survie, y a une énigme… "

(Sâdegh Hedâyat)

Sâdegh Hedâyat compte, sans aucun doute, parmi les premiers écrivains et chercheurs qui ont, sérieusement et scientifiquement, traité du folklore traditionnel iranien. Ainsi, il est incontestablement le premier écrivain qui a scientifiquement décrit sa méthode de recherche et d’analyse, voire sa façon de recueillir des documents et d’établir des liens avec le peuple avec lequel il organisait des séances d’entretien. Il s’intéressait particulièrement à tout ce qui était en rapport avec la culture iranienne originelle (des quatrains de " Khayyâm " [1], " Esfahân nessfé jahân" [2] ; des langues " Pahlavi " [3] et " Zand " [4], de la pièce nommée " Mâziyâr " [5], à une simple et belle chanson enfantine qui disait " Atal matal…"), et il mettait tout en œuvre pour obtenir des renseignements exacts et scientifiques et comprendre leurs réalités sous-jacentes.

Ce présent livre comprend trois parties dont les deux premières ont été publiées de son vivant, contrairement à la dernière qui est donc considérée comme une œuvre posthume. En 1933, il publie le premier recueil sous le nom de " Neyranguestân " [6] qui renferme un précieux florilège d’anciennes convictions, superstitions et croyances populaires iraniennes qu’il nourrit d’explications pertinentes. Cette première partie du livre est le fruit de plusieurs années d’accumulation de connaissances, d’études, de catégorisations et de pures recherches scientifiques. On peut également y observer l’influence qu’ont eues les croyances des nations étrangères telles que les Parthes, les Grecs, les Romains, les Juifs, les Chrétiens et les Arabes sur le folklore iranien et vice-versa.

En 1931 et après quelque dix ans de recherches sur le folklore, Hedâyat publie les résultats de son travail dans la revue " Moussighi " [7]. Ce sont ces notes qui constituent la deuxième partie du livre sous le titre de " culture populaire ". Les chansons, les contes et le folklore populaires en forment l’ossature. Les notes de Hedâyat sur le folklore, publiées dans les années 1944-1945, exposent une analyse profonde des dimensions sociologique, ethnologique, littéraire, musicale, etc. du folklore mondial et iranien. C’était avec la publication de Neyranguestân qu’il avait esquissé sa volonté d’accumuler et de catégoriser de telles notes. Hedâyat cite aussi les européens qui ont travaillé sur le folklore tout en croyant en la richesse du folklore iranien et en prévoyant sa disparition par ignorance. L’un des plus intéressants travaux de Hedâyat dans ce domaine demeure l’étude du folklore d’une région spécifique. Tous les éléments de la vie quotidienne tels que l’économie et le commerce, les langues indigènes, les savoirs publics, les arts régionaux, la sorcellerie, la vie sociale et familiale, etc. sont décrits l’un aussi bien que l’autre, de main de maître. Sâdegh Hedâyat étudiait également les religions et plus particulièrement l’Islam, le Judaïsme, le Christianisme et le Bouddhisme. Lorsqu’il se heurtait à des difficultés, il demandait de l’aide à ses amis intellectuels. En outre, il échangeait ses connaissances via les correspondances qu’il entretenait avec de célèbres iranologues étrangers tels que Roger Lescot [8], Henri Massé [9], Arthur Christiansen [10] et Henry Corbin [11].

Après le décès de Sâdegh Hedâyat, les parties non publiées de ce livre ont été transmises d’abord à son père Gholi Hedâyat - dit E’téssâmo-l-molk - puis, intégralement à son frère Issa et enfin à son neveu M. Djahânguir Hedâyat. Les vingt-sept contes et récits anciens formant cette partie du livre - qui sont dépourvus de date de parution précise et dont le thème majeur s’insère, tout naturellement, dans le cadre du folklore iranien - content pour la plupart des histoires de nymphes et de djinns instructives et amusantes. Ces histoires sont classées, soit d’après leur date d’envoi à Hedâyat, soit par ordre alphabétique. Pour chaque conte sont données toutes les indications principales du texte original telles le type de papier, la couleur d’encre, les explications de Hedâyat ou celles des expéditeurs, les noms des expéditeurs et les dates d’expédition. Bref, toute information nécessaire est strictement rapportée.

Au travers de cette œuvre et ces recherches qui ont duré quelque vingt ans, Hedâyat est parvenu à attirer l’attention vers le vaste royaume de l’ancienne culture populaire iranienne et a conféré à ce type de chansons, de contes, de proverbes et de nouvelles, un sens nouveau et inédit, et cela à l’époque où la plupart des gens considéraient ces choses comme banales et pensaient, à titre d’exemple, qu’une chanson comme " Lâlâ lâlâ golé pouneh…" servait uniquement à être faire office de berceuse. Valorisant les chansons enfantines, Sâdegh Hedâyat les a rassemblées à part. Il a également révélé l’importance de la culture iranienne chez les orientalistes étrangers. C’est tout un ancien trésor de culture oublié et négligé qu’il offre, grâce à ce livre, au peuple iranien.

Quelques extraits de son livre sur les croyances populaires iraniennes d’autrefois concernant :

LE RÊVE

- Au moment de dormir, s’il y a des chaussettes pendues au-dessus de votre tête, les cauchemars vous assailleront tout au long de votre sommeil.

- Si quelqu’un rêve de sa mort, il vivra longtemps.

- Si quelqu’un rêve de Dieu, il deviendra infidèle.

- Le rêve des femmes est dépourvu de sens.

- Si quelqu’un rêve de poulets et de poissons, ses désirs se réaliseront.

- Si quelqu’un rêve d’être tombé dans un puits, il mourra peu après.

- Les bœufs et les veaux sont, dans le rêve, les symboles de l’ennemi.

LES ANIMAUX

- Apercevoir un cheval blanc est de bon augure.

- Les anges ne passeront jamais par la maison où l’on garde des chiens.

- Si un chat se débarbouille devant la porte de la maison, cela est le signe d’arrivée de nouveaux invités.

- Les loups craignent l’homme nu.

- Si un chameau se repose au seuil d’une maison, le propriétaire mourra peu après.

- Si un chasseur rencontre un lapin à l’aube, il ne pourra plus chasser jusqu’au crépuscule.

- Si vous aspergez d’eau un chat, des verrues apparaîtront sur la peau de votre main.

LE TEMPS

- Si vous vous coupez les ongles :

-le samedi, vos dettes seront payées.

-le lundi, vous serez riche.

-le jeudi, votre enfant mourra.

-le vendredi, vous serez récompensé par Dieu.

- le soir, la joie et la tristesse se mêleront

- Si quelqu’un se couche, la nuit, sous un arbre ou dans un bain, il deviendra fou.

- Le dimanche, il ne faut pas prendre de bain.

- Le samedi, il ne faut pas voyager.

- Si quelqu’un prend sa douche quarante mardis consécutifs, il deviendra fou.

- Cela fait du bien de nettoyer sa maison le premier jour de chaque mois.

Un regard bref sur la vie et les œuvres de Sâdegh Hedâyat

Né le 17 février 1903 à Téhéran, Sâdegh Hedâyat appartenait à la famille de Réza Gholi Khân Hedayat, l’un des plus célèbres écrivains, poètes et historiens du XIXème siècle. Il termina ses études secondaires en 1925 après avoir étudié dans les deux grandes écoles de l’époque, " Dar-ol-fonoun " et " Saint-Louis ". C’était surtout grâce à cette dernière qu’il découvrira le trésor de la langue et de la littérature françaises. L’année d’après il fut envoyé, en compagnie d’autres étudiants iraniens, en Belgique afin de poursuivre ses études. Insatisfait de sa résidence à Gand dont le climat ne lui plaisait pas, il se rendit finalement à Paris. En 1928, il fit une première tentative de suicide dans la Marne, heureusement déjouée par des canotiers. Il rentra finalement à Téhéran en 1930 et forma le groupe " rab’e " [12] avec Bozorg Alavi, Massoud Farzâd et Modjtabâ Minavi, tous trois de grands écrivains. En 1936, il effectua un voyage en Inde dont il conversa toujours une très forte impression et durant lequel il apprit la langue Pahlavi. C’est en 1943 qu’il esquissa sa collaboration avec la fameuse revue " Sokhan " [13]. En 1944, il passa un ou deux mois à Tachkent en Ouzbékistan et en devint amoureux. En 1950, il partira pour Paris où l’année après, le 9 avril 1951, il se suicida par gaz ; Il repose au cimetière du Père-Lachaise à Paris.

Ses œuvres :

Les dates données sont celles de la rédaction des œuvres

- Robaïyâté Omar Khayyâm (Introduction aux quatrains d’Omar Khayyâm) : livre, 1923

- Ensân va heyvân (De l’Homme et de l’Animal) : 1924, édition Broukhime

- Djâdougari dar Iran (La magie en Iran) : en français, 1926, paru dans la revue parisienne " Le voile d’Isis " en 1952 - Favâyédé guiâhkhori (Les avantages d’être végétarien) : essai, 1927

- Parvin dokhtaré Sâssân (Parvin, fille de Sâssân) : drame historique, 1930

- Zéndé bé gour (Enterré vivant) : recueil de contes, 1930

- Sé qatré khoun (Trois gouttes de sang) : recueil de contes, 1932

- Sâyé rochan (Le clair-obscur) : recueil de contes, 1933

- Mâziyâr : pièce de théâtre, 1934

- Boufé kour (La chouette aveugle) : son chef d’œuvre, roman fantastique, 1936

- Sagué vélgard (Le chien errant) : recueil de contes dont Mihan parast (Patriote), 1937

- Bon bast (L’impasse) : 1937, publié en France en 1942

- Lunatique : nouvelle en français, parue dans le Journal de Téhéran, 1945

- Sampingue : nouvelle en français, parue dans le Journal de Téhéran, 1945

- La légende de la création : satire pour marionnettes, 1946, publié à Paris

- Payâmé Kafka (Message de Kafka) : essai, 1948

- Toupé morvârid (Canon de perles) : manuscrit posthume, 1948

Etc.

Sources :

1. HEDAYAT, Sâdegh (collectionné par Djahânguir Hedayat), Farhangué âmiânéyé mardomé Iran, Tcheshléh, Téhéran, 5e éd. 2004, 432 pages.

2. MONTEIL, Vincent, Sâdegh Hedâyat : une réalité irréelle. In : Revue Renaissance, Vol. 1 (mars 2002), pp.36-40.

3. www.sadeghhedayat.com


* HEDAYAT, Sâdegh (collectionné par Djahânguir Hedayat), Farhangué âmiânéyé mardomé Iran, Tcheshmeh, Téhéran, 5e éd. 2004, 432 pages. (ISBN : 964-5571-16-2)

Notes

[1Omar Khayyâm (Nichapur vers 1047-id. vers 1122), poète et mathématicien persan.

[2Ispahan, la moitié du monde. Sentence célèbre iranienne devenue dicton. C’est aussi le titre de l’un des livres de Hedayat publié en 1932.

[3Langue iranienne qui fut celle de la civilisation sassanide et de la littérature mazdéenne.

[4Langue du livre saint des zoroastriens, l’Avesta.

[5L’une des pièces historiques de Sâdegh Hedâyat écrite après 1927, et qui raconte des évènements remontant aux premiers siècles après l’Islam en Iran.

[6Pays de sorcellerie

[7Musique

[8Orientaliste et diplomate français. Il a traduit en français Mamé Alan, l’épopée kurde.

[9Orientaliste et ethnologue français, auteur, entre autres, de Croyances et coutumes persanes, Paris, 1938.

[10Orientaliste et chercheur danois, auteur, entre autres, de Contes persans en langue populaire, Kobenhaven, 1918.

[11Henry Corbin (1903-1978), philosophe orientaliste et métaphysicien de l’Islam, auteur entre autres de L’homme de lumière dans le soufisme iranien, 2e éd., Editions " Présence ", 1971.

[12Groupe des Quatre

[13Parole


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3 Messages

  • Bonjour, existe-t-il un projet de sortie de ce livre en français ?

    merci d’avance

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  • Oui tout cela est bien, mais à quoi bon, en France on ne veut pas savoir qui est "Sâdegh Hedâyat"
    Depuis 35 ans en France, j’ai vu une seul fois dans émission Apostrophe , présenté par Bernard Pivot cet grand écrivant, mais dés qu’il a entendu son nom, il a enlevé ses lunette, pour signaler qu’on change le sujet !!!
    ce là se traduit, nous n’avons pas besoin, puisque il n’y a pas d’intérêt [...].

    En France nous avons beaucoup idée mais pas de pétrole, or nous n’avons pas besoin les connaitre "les autres cultures" que si il y a un peu de pétrole, si non on fait un peu semblant comme votre article.

    continuer ainsi, mais sachez que nous sommes pas dupe

    repondre message