N° 14, janvier 2007

Shab-e Tcheleh


Morteza Johari
Traduit par

Maryam Devolder


La nuit de Yaldâ ou la première nuit de l’hiver, est la nuit la plus longue de l’année. A partir de cette nuit, les jours deviennent plus longs et le temps commence à se réchauffer. C’est pour cette raison que les Iraniens de l’antiquité appelaient la première nuit d’hiver "la nuit de la lumière" ou " la nuit de la naissance du soleil", qui était l’occasion de grandes festivités.

Dans le calendrier iranien, cette fête se déroule en Dey (c’est-à-dire au mois de décembre), d’après le nom qui était donné au Créateur avant le Zoroastrisme. Les fêtes de la nuit de Yaldâ trouvent leurs racines dans des traditions antiques qui remontent à des milliers d’années et au culte de Mitra. Yaldâ serait ainsi le jour de la naissance de Mitra ou du soleil. La lumière du soleil et du jour étaient considérées comme étant la manifestation d’un dieu créateur alors que l’obscurité, la nuit et le froid étaient le symbole d’Arihman, dieu des ténèbres. Le cycle des jours et des nuits avait incité les gens à croire que ces deux éléments étaient continuellement en guerre. Les jours les plus longs étaient alors considérés comme étant les jours de la victoire de la lumière, et les jours les plus courts étaient le signe de la victoire de l’obscurité. Pour se protéger d’Ahriman, les gens se réunissaient pendant la nuit et allumaient du feu pour demander l’aide du soleil. Yaldâ est donc en quelque sorte la célébration du soleil et la fin de la domination de l’obscurité et du froid.

Pendant cette nuit de Yaldâ, il est de coutume de manger des graines séchées et salées, des pastèques, des grenades, des fruits divers et des sucreries, qui sont des symboles de santé, de joie et de profusion. Pendant cette longue nuit, les iraniens aiment également lire des poèmes de Hâfez et prédire l’avenir en cassant des noix ; les pleines annonçant une bonne année et les vides, une mauvaise. De nombreuses civilisations avaient également des fêtes spéciales à l’occasion du début de l’hiver, mais avec des buts et des coutumes différentes.

En Iran et dans les pays voisins, le début de l’hiver était la nuit de la révolution hivernale qui correspondait exactement, dans leur calendrier, au matin du trentième soir du mois de Azar, la veille du 22 décembre. Certains croient de façon erronée que cette nuit de Yaldâ était l’occasion de lutter contre les forces maléfiques de la plus longue nuit de l’année, alors que cette fête trouve en fait sa source dans des coutumes très anciennes de la civilisation perse. Cette fête était pour eux l’occasion de rester éveillé jusqu’au matin pour contempler le lever de ce soleil qui venait de naître. Les anciens de la famille devaient être présents pour symboliser l’ancienneté du soleil, et la consommation de fruits de couleur rouge, qui représentaient les couleurs du soleil, aidaient les participants à rester éveillé.

Shab-e Yaldâ dans l’Iran de l’antiquité

Pour les populations de cette époque qui se composaient essentiellement de cultivateurs et d’éleveurs de troupeaux, le dualisme du jour et de la nuit, des saisons, de la chaleur et du froid, de la lumière et de l’obscurité, se perpétuait dans le dualisme des caractères humains, dans le bien et le mal, l’amitié ou l’animosité, etc. Tout se divisait en deux groupes, les choses profitables ou nuisibles étant respectivement reliées au dieu du Bien et au dieu du Mal. Ces derniers préféraient le jour qui était le moment du travail et de la lumière. Le soir, ils se regroupaient et allumaient un feu pour empêcher la progression du mal, et ce jusqu’au dernier soir du mois de Azar, annonciateur de jours plus longs et de la victoire de la lumière.

La nuit de Yaldâ dans quelques régions iraniennes

Cette tradition a subi de nombreuses transformations mais est restée bien vivante dans toutes les régions du pays. Tous les Iraniens considèrent cette soirée comme une soirée de fête, durant laquelle sont célébrés l’amitié et la sincérité. Dans le Khorasân, cette soirée est appelée la soirée de la quarantaine selon une tradition qui remonte très loin dans l’Histoire. Pour accueillir le premier jour des grands froids, cette fête revêt un éclat particulier. Certains apportent des cadeaux à leurs belles-filles, surtout dans la partie sud de la province. De nombreux présents sont alors envoyés aux fiancées de la part de la famille du fiancé, et parfois, les deux familles se rassemblent dans la maison des anciens (par exemple celle des grands-parents) en cette occasion, pour passer la soirée à lire des poèmes et à raconter des histoires jusqu’au milieu de la nuit. Dans le sud du Khorasân, il est de coutume de laisser tremper les racines d’une plante qui pousse dans cette région et de les faire bouillir. Ces racines sont ensuite placées dans des grands bols de terre cuite et les hommes accompagnés des jeunes gens de la famille les remuent jusqu’à les faire mousser. Cette mousse est ensuite mélangée à une cassonade et est prête à être consommée par les invités, accompagnée de pistaches et de noix.

La province d’Ispahan célèbre quant à elle la nuit de Yaldâ selon des coutumes spéciales qui ont survécues jusqu’à nos jours. L’hiver était divisé en deux parties, la grande quarantaine et la petite quarantaine. La première période commençait le 22 décembre et la seconde le 29 janvier pour se terminer le 19 février. Les habitants d’Ispahan organisaient alors des cérémonies qui se déroulaient en famille autour d’une nappe étendue à terre et où étaient servies des pastèques, symboles du cercle solaire, et dont les couleurs symbolisaient les couleurs du soleil dans ses positions diverses. Les vêtements et les draps étaient également étendus au soleil pour célébrer cet événement.

Dans la province de Kermânshâh, qui est une région très riche du point de vue archéologique et historique, la nuit de Yaldâ est une tradition très ancienne. Les gens se rassemblent pour assister à la naissance du soleil et restent éveillés jusqu’à l’aube. Les histoires de Shirin et de Farhâd, de Rostam et de Sohrâb, les histoires de Hossein Kord Shabestari et les beaux poèmes de Shami Kermânshâhi, remplissaient cette soirée. Dans le passé, les membres de la famille se réunissaient chez les plus anciens pour se regrouper sous le Korsi traditionnel, une table basse recouverte de lourdes couvertures, autour de bols de fruits secs, de plats de fruits et de gâteaux à base de farine de riz, préparés par les grands-mères à cette occasion. Les poèmes de Hafez, pour prédire l’avenir nuptial des jeunes filles en particulier, sont aussi au programme des soirées de Yaldâ, dans la province de Kermânshâh.

Dans la province de Zâhedân, la nuit de Yaldâ est remplie de récits transmis de génération en génération. Ces soirées traditionnelles créent des souvenirs inoubliables pour les enfants et les jeunes. Des jeux de société et des histoires drôles sont au programme. La région de l’Azerbaïdjan a également ses propres coutumes : dans la plupart des villes et des villages de l’ouest de cette région, les fiancés s’offrent mutuellement des cadeaux composés de fruits, de gâteaux, et de miroirs décorés. A la tombée de la nuit, les femmes de la famille viennent chez le fiancé pour fêter cette nuit exceptionnelle et préparer des plats qui seront envoyés chez la fiancée. La mère de la fiancée répondra par des cadeaux composés de foulards, de bas ou des gâteaux et des fruits. Le lendemain, ces fruits et ces gâteaux seront offerts, lors d’un goûter, aux invitées de la mère de la fiancée. Dans le passé, les pastèques et les fruits étaient suspendus au plafond des cuisines pour les conserver et pour accompagner le repas de fête composé de poulet, de riz et de soupe de lait. En coupant la pastèque, les anciens récitaient cette formule rituelle " Nous nous sommes séparés aujourd’hui des malheurs". Les épluchures étaient ensuite jetées dans la rivière en signe de bonne augure, puis les anciens racontaient les histoires des héros légendaires des épopées de leur région. La nuit se poursuivait en dialogues et en bavardages et le lendemain, les femmes commençaient leur ménage d’automne pour éloigner le mauvais sort.

A Téhéran aussi, dans le passé, la nuit de Yaldâ était l’occasion de se regrouper en famille chez les parents et les grands-parents. Les fruits étaient à l’honneur ainsi que toutes sortes de graines séchées et salées, des graines de melon, de pastèque ou de potiron. Ces traditions sont respectées dans une certaine mesure par les habitants de Téhéran.

La nuit de Yaldâ, dans la société moderne iranienne

Cette première nuit d’hiver, comme dans le passé, est l’occasion pour tous les membres de la famille de se rassembler chez les plus âgés. Les pâtissiers et les marchands de fruits s’y préparent une semaine à l’avance. La coutume veut que la pastèque soit à l’honneur, car en manger ce soir-là, dit-on, préserve des maladies et de la grippe pendant les grands froids. Les grands-mères racontent des histoires du passé, les grands-pères racontent des passages de la célèbre épopée de Ferdowsi et les récits des héros légendaires de l’ancienne Perse. Des marchands de pastèques passent dans les rues, donnant aux villes un air de fête qui annonce la nuit de Yaldâ. Cette nuit est embellie par des poèmes de Hâfez qui annoncent l’avenir et donnent à cette réunion une atmosphère culturelle et littéraire remarquable. C’est le moment de penser à l’avenir et l’occasion pour un journal iranien, depuis deux ans, d’offrir un prix littéraire : le prix de Yaldâ.


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