N° 14, janvier 2007

Le Char


Hossein Mortezaïan
Traduit par

Arefeh Hedjazi


C’est vrai ce qu’on dit ? Tu as vraiment avalé un char ? “lui demandai-je.”

Il dit d’abord :

“Hein ?”

Puis il ajouta :

“Oui, c’est vrai.

- Un vrai char ?!

- Oui.”

Il ouvrait très grand la bouche quand il parlait.

“Mais comment ?

- J’étais en train de crier… Tout d’un coup, j’ai vu qu’il était dans ma bouche.”

Il plissa son visage.

“C’était amer ! Ça avait un goût de brûlé.

- Mais comment peut-on avaler un char ?”

Il rit.

“Mais moi, je mange tout.

- Tout ?

- Ben oui. Ahmad me donnait toujours la moitié de sa ration. Parce qu’il n’aime pas les conserves. Il dit qu’elles ont un goût de fer.

- Oui, mais un char c’est différent !

Il ouvrit grand les yeux.

- C’est quoi la différence ?”

Il planta son regard dans le mien. Je ne savais quoi répondre. Je dis :

“Il était grand comment, ce char ?”

Il écarta ses mains.

“Il était très…grand ! Un grand char noir et vert. De ceux qui ont une longue antenne accrochée sur leur derrière… Mais Ahmad n’a pas réussi à le manger. Il avait ouvert grand la bouche - comme ça - mais il n’a pas réussi.

- Parce qu’il était là-bas, lui aussi ?

- Hein ?... Oui.”

Il secoua plusieurs fois la tête. Je demandai :

“Il l’a vu lui aussi ?”

- Non.

- Pourquoi ?

- Parce qu’il avait fermé les yeux… Ensuite, le char est passé sur lui !

- Sur Ahmad ?!

- Ben oui. Ce n’était pas ses jambes qui étaient sous le char…Ensuite, il est venu vers moi.

- Qu’est- ce qui est venu vers toi ?

- Le char !

Ses yeux s’étaient encore plus agrandis.

“Et qu’est- ce que tu as fait ?

- J’ai crié. J’ai appelé ma mère… Mais tu sais, personne ne m’entendait.”

- Il venait vers toi ?

- Oui. Je ne sais pas. Je veux dire, il venait vers moi. Mais comme j’avais fermé les yeux… Je hurlais, quoi. Et l’autre continuait à avancer...

Il avait fermé les yeux. Puis il a enfoncé sa tête entre ses épaules. Il dit doucement :

“Ensuite, il s’est soudain transformé en ombre !... J’ai compris qu’il était devant moi…J’ai un peu regardé. J’ai vu que son canon était juste au-dessus de ma tête…”

Je dis rapidement :

“Et après ?

- Après, il y a eu un bruit, ça l’a touché ; boum…J’ai encore ce bruit dans la tête.”

Il mit sa main sur sa gorge et referma les yeux. Je demandai encore :

“Comment est-ce qu’il est entré dans ta gorge ?

- Hein ?...Bah par ma bouche bien sûr ! Il y a encore les traces de ses chenilles sur ma langue. Regarde…”

Il sortit complètement sa langue et me la montra. Elle était jaune. Il dit ensuite :

“D’un seul coup, j’ai ressenti une grande chaleur dans mon estomac. Brûlant…Après, quand j’ai ouvert les yeux, il n’y avait plus de char !... Il y avait de la fumée qui me sortait de la bouche ! J’ai compris qu’il était entré dans mon ventre. Ça sentait aussi le brûlé…”

Il s’était penché en avant et sa bouche restait grande ouverte. Il dit :

“Je ne pouvais pas du tout bouger. Sinon j’aurais vomi.”

Il mit sa main sur son ventre et avança la tête. On aurait en effet dit qu’il allait vomir. J’ai demandé :

“Il est encore dans ton ventre ?”

Il écarta le drap qui le recouvrait et dit :

“Non, Monsieur le Docteur l’a sorti.”

J’ai vu qu’il avait une cicatrice longue d’une main sur son ventre ! On n’avait pas encore enlevé les agrafes.

Le docteur disait :

“Il ne dormait pas les nuits à cause de sa douleur à l’estomac. Il disait tout le temps qu’il avait mal au ventre… Il disait qu’il y avait des drôles de bruits dans son ventre…”

Puis il attrapa une branche de ses lunettes et tourna la tête. La branche des lunettes se prit dans ses cheveux. Il dit :

“J’ai été obligé de me faire opérer !”

- Il est où ce char, maintenant ?

Il s’étonna.

“Tu ne l’as pas vu ?

- Non.

- Dehors, dans le parc ! C’est celui qui est dans le parc.”

Puis il rentra ses jambes dans son ventre et se tut. Il me tournait le dos mais on voyait qu’il regardait dehors par la fenêtre. Je lui demandai :

“Tu n’as plus mal au ventre ?”

Il ne me répondit pas.

Quand je suis sorti du bâtiment, je ne faisais pas du tout attention à ce que je voyais. Je pensais à ce qu’il m’avait dit. Le parc n’avait pas de gazon. J’avais la tête baissée et j’allais sortir quand j’ai vu le saule. Il y avait quelque chose derrière. J’ai bien regardé, c’était un char ! Comme si on l’avait camouflé derrière les branches feuillues. Je m’en suis doucement approché. Il était vert foncé. Avec des taches noires ! La longue antenne qui en sortait par derrière était complètement tordue par une chaleur extrême ! Son canon d’acier pointait exactement sur moi. J’ai encore avancé. Il avait une sacrée gueule ! J’ai voulu le toucher, mais j’ai eu peur.


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