N° 13, décembre 2006

Forough Farrokhzâd, une petite fée triste, seule et amoureuse


Shâdi Rahnamâ


" O mon amant ! Quand tu viens auprès de moi Apporte-moi un flambeau et une fenêtre " [1]

Forough Farrokhzad, l’une des plus grandes poétesses contemporaine iranienne, a provoqué une véritable cassure au sein de son existence pour avoir osé décrire sa sensualité de femme et aller à l’encontre des règles traditionnelles de la société. Elle a alors mis sa souffrance au service de la poésie, du théâtre et du cinéma, afin que l’art soit cette "fenêtre pour voir, chanter, crier et pleurer" [2].

Forough Farrokhzad est née à Téhéran en 1934 dans une famille nombreuse. Sous l’influence de son père qui s’intéresse beaucoup à la littérature et surtout à la poésie, Forough s’intéresse très tôt à ce domaine et commence à écrire de petits poèmes qui révèlent un manifeste talent poétique. Après avoir terminé ses études, elle s’initie à la couture et à la peinture. A seize ans, passionnément amoureuse, elle épouse Parviz Chapour, de quinze ans son aîné. C’est en 1952 qu’apparaît son premier recueil de poésies intitulé La Captive ; elle n’a alors que dix-sept ans. Ce recueil la fait connaître au public. Elle publie également des poèmes dans de multiples revues, et la publication de l’un de ses poèmes intitulé Le péché fait scandale :

" J’ai péché voluptueusement péché
Dans une étreinte chaude et pleine de feu "

" Pour la première fois dons notre histoire littéraire, une femme parle de son désir, ainsi que de ses passions" [3] . Elle est désormais l’objet de beaucoup de reproches - on l’accuse notamment d’être débauchée-, alors que sa vie conjugale se dégrade peu à peu. La naissance de son fils Kamyar ne suffit pas à la débarrasser de l’ennui et de la tristesse qui l’enveloppent et la paralysent. Après son divorce, Forough se verra refuser la garde de son seul fils, qu’elle ne reverra pas jusqu’à sa mort.

" Quand ma confiance était pendue à la corde souple de la justice

Et que dans toute la ville

On morcelait les cœurs de mes lumières,

Quand l’on fermait les yeux enfantins de mon amour

Avec le bandeau noir de la loi

Et que des temps troublés de mes yeux

Jaillissait le sang

Et que dans ma vie

Il n’y avait rien, rien que le tic-tac de l’horloge

J’ai compris : il faut, il faut, il faut

Que j’aime à la folie " [4]

Parallèlement à la poésie, Forough s’intéresse au théâtre ainsi qu’au cinéma : elle réalise un documentaire intitulé La maison est noire, qui met en scène la vie misérable des lépreux.

Forough a écrit de nombreux recueils de poèmes parmi lesquels La Captive (1952), Le Mur (1957), La Révolte (1959), Une autre naissance (1962), et finalement le recueil Ayons foi en l’approche de la saison froide, que sa mort prématurée en 1966 à la suite d’un terrible accident de voiture ne lui permet pas d’achever.

La poésie, miroir d’une femme

L’œuvre poétique de Forough peut se diviser en deux parties bien distinctes, témoignant de l’évolution de la pensée de leur créatrice qui sort progressivement du cadre restreint des sentiments féminins pour accéder à un univers plus vaste concernant l’existence, l’être humain et la vie de tous les jours.

Les poèmes contenus dans ses trois premiers recueils (La Captive, Le Mur, La Révolte) et composés de 1952 à 1959, reflètent, comme un miroir, l’image d’une femme seule et rebelle, animée par de purs sentiments féminins, et qui se dresse contre les règles et conventions sociales traditionnelles. La vague des passions domine l’ambiance poétique des premiers poèmes de Forough. Tout ce peuple qui traverse son esprit est exprimé au travers de tout un réseau de mots mettant en lumière les méandres de sa pensée et de ses sentiments : cœur, amour, nuit, ténèbres, baiser, espoir, regret, prison, désir, peché, tombeau, mort, Dieu, main, fenêtre… comptent ainsi parmi les termes qui l’on retrouve fréquemment d’un poème à l’autre. Ils expriment la vie d’une femme enfermée dans le cocon de la vie conjugale, jugeant son existence vide et sans but, monotone et inintéressante, une femme qui, pour se débarrasser du désenchantement et de l’ennui, se réfugie dans l’univers enchanté de la poésie et exprime, sous forme de quatrain et au travers d’une accumulation de mots, expressions et images, des revendications féminines. Les vers suivants montrent à quel point le sentiment d’être prisonnière hante la poétesse :

" Je pense et je sais que jamais

Je ne pourrai me libérer de cette cage

Même si le geôlier me libérait

Je n’aurais plus la force de prendre mon envol " [5]

La poésie : le regard pessimiste d’une femme sur le monde

A partir d’Une autre naissance, elle trouve enfin son propre langage, lequel se nourrit de ses expériences spécifiquement féminines. C’est dans ce recueil que Forough nous présente des fenêtres ouvertes sur d’autres mondes, au travers desquelles elle exprime les sentiments qu’elle n’a jamais éprouvés dans l’univers borné des revendications féminines. En adoptant un point de vue résolument pessimiste, elle y décrit la société de son temps, les problèmes du peuple iranien à une époque de transition entre tradition et modernité - en un mot la vie de tous les jours, et tout cela en utilisant un langage simple et à la fois très imagé.

" La vie est peut-être

Une longue rue

Traversée tous les jours par une femme et son panier

La vie est peut-être

Une corde

Avec laquelle un homme se pend à un arbre

La vie est peut-être

Un écolier

Qui rentre de l’école

La vie est peut-être

Allumer une cigarette

L’espace narcotique entre deux étreintes…"  [6]

Pourtant, c’est dans la dernière œuvre poétique de Forough Ayons foi en l’approche de la saison froide, comportant ses poèmes composés durant les trois dernières années de sa vie, que la nouvelle naissance poétique de celle-ci atteint son apogée. La poétesse dépeint sa situation dans les vers qui ouvrent le recueil :

" Et c’est moi

Une femme seule

En approche d’une saison froide

Venant de comprendre l’existence polluée de la terre

Et le désespoir simple et triste du ciel

Et l’impuissance de ces mains en ciment". [7]

Tous les poèmes de ce recueil ne sont que le développement de ces premières notions qui nous présentent l’image d’un être humain vulnérable et sensible, contemplant le monde à travers une grande fenêtre. Le lecteur y est témoin d’un changement radical en ce qui concerne tant la forme que le contenu. La poétesse s’y montre de plus en plus inspirée par Nima ; elle abandonne la forme du quatrain pour adopter un style plus libre s’accordant avec l’élargissement de son horizon ainsi que de son imagination.

Forough ne cherchait pas à suivre une démarche exclusivement esthétique : elle aspirait davantage à décrire le monde réel avec tous ses aspects matériels et spirituels, et ce en utilisant des termes parfois éloignés du langage poétique. Elle parle des objets banals, ce qui lui permet de nous révéler les recoins les plus anodins et inattendus de la vie quotidienne. Dans ce sens, les termes romantiques qui dominaient l’univers poétique de Forough au début de sa carrière littéraire disparaissent peu à peu dans ses deux derniers recueils. L’amour, la nuit et la fenêtre y apparaissent de façon plus marquée mais le sens contenu dans ces termes est l’objet d’une grande mutation. En fait, cette grande poétesse introduit dans l’univers poétique de nouveaux termes tels que balai, cuisine, corde à linge, paillettes, cerf-volant, vase, mots-croisés, fumée du cigare, dilatation de l’amour, vendredis ennuyeux, tasse, armoire, jets d’eau, perle de verre, rues vides ... Ainsi la poésie de Forough se transforme-t-elle en une poésie palpable, vivante et plus proche du quotidien de chacun.

La poésie de Forough est, en quelque sorte, le reflet de la vie. On peut dire qu’après Nima, elle est l’un des plus grands poètes contemporains qui, après avoir publié trois recueils, a également provoqué une nouvelle naissance au sein de la poésie persane.

Bibliographie :
- 1. Hoghoughi, Mohammad, Notre poésie contemporaine 4/ Forough Farokhzad, éd. Negah, Téhéran, 1383.
- 2.http://www.Foroogh.de

Notes

[1Revue de Téhéran, Numéro 1, p 55.

[2Hoghoughi, Mohammad, Notre poésie contemporaine 4/ Forough farrokhzad, éd. Negab, Téhéran, 1383, p. 31.

[3Ibid.

[4Hoghoughi, Mohammad, op. Cit., p. 276. " La Fenêtre "

[5Ibid., p. 59.

[6Revue de Téhéran, op. Cit., p. 56.

[7Hoghoughi, Mohammad, op. Cit., p. 260, " Ayons foi en l’approche de la saison froide"


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