N° 13, décembre 2006

Nosrat Rahmâni
L’homme perdu dans la brume


Rouhollah Hosseini


Attention !

N’attache jamais

Le bec d’un oiseau

Car

Il chantera avec ses ailes

Ne brise jamais ses ailes

Car

Il s’envolera avec son chant

Jusqu’à très haut dans le ciel

Ne dis jamais

Au poète

De garder le silence

Car…

Nosrat Rahmâni

L’homme qui vit et qui chanta la mort, Nosrat Rahmâni est, eu égard au contenu de ses textes, l’un des plus modernes poètes de la poésie persane contemporaine. Son oeuvre est en effet hantée par l’idée du néant de la vie et de la fascination de la mort. Ce qui émane à n’en pas douter de la sensibilité moderne ; de la conscience qui se trouve confrontée à l’étrangeté du monde. De ce point de vue, l’on pourrait approcher son texte à celui de Hedayat. Lui-même avoue d’ailleurs "qu’il se range plutôt du coté de Hedayat que de Nimâ ". Les écrits du poète sont à ce titre marqués par un univers fantastique, lequel évoque une certaine angoisse de l’existence. D’où ce débordement, dans ses poèmes, d’images de la nuit, du cadavre, ainsi que de sentiments de désespoir et de solitude, bref, d’absurdité de la vie. Il s’efforce d’ailleurs de décrire cette condition dans un livre peu connu du public, L’homme qui fut perdu dans la brume. Cette sensibilité tragique n’est sans doute pas sans rapport avec les conditions socio-politiques de l’époque où vivait l’auteur.

Né en 1929 et mort en 2000, Rahmâni a vécu l’époque de grands événements socio-politiques et nationaux mondiaux. Son œuvre ne reste donc pas étrangère au facteur social, essayant même de traiter la misère du monde à l’échelle mondiale :

La Maison Blanche

Le Kremlin

Deux tumeurs malignes

Dans la poitrine de la Terre…

Et l’Onu

L’architecture de la folie

La géographie du sang…

Apparaît alors toute l’attention que portait le poète aux malheurs du peuple, pour mieux exprimer son humanisme, lequel touche encore ce qui reste en nous d’humain :

J’ai été

Toute ma vie

La douleur même

J’ai brûlé

Au milieu de la flamme

Des espoirs de mon cœur

Hélas !

Déçu

J’ai toujours été

J’ai eu la fièvre

En amour

J’ai souffert pour éclore

En poésie

Hélas !

Dans le jardin des parfums et des couleurs

La fleur jaune je fus

Cependant

O enfants ! Gardez en mémoire

J’ai toujours été humain.


Patience de la voie

Mon amie !

Demande-moi

La longueur de la nuit des douleurs !

A moi

Qui ai dansé

Dans la ruelles des amants

Jusqu’à l’aurore

Demande-moi

La longueur de la voie de la séparation

Et à la vaine lamentation de mes pas

Sur le pavé

De la patience

Car

J’ai cherché

Pas à pas

Avec les vents

Ton odeur

Dans la ville par monts et champs

Ajustant

Ma montre

A la vieille horloge solitaire

De la tour de la ville

O chérie !

Quand la douleur

Affligea ton cœur

De ma chevelure blanche

Prends un cheveu

Lance-le à l’encensoir

Alors tu peux voir

L’amour

Sur le seuil

De ta porte.


Il appuya sur la gâchette

Frémit l’image dans le profond du miroir

Prit son envol le corbeau depuis le mur

Souffla le vent et clôt la fenêtre

Se mit à tomber une fine pluie

La douleur planta sa tente

L’homme se dit alors :

"Je sens

Que jusqu’au bord de l’immense

Où s’écoule

La congélation

Dans l’âme de tout coulant

Le chemin ne sera guère long

Cependant

Dieu - bien qu’il soit juste et généreux -

N’attend guère, à n’en pas douter,

Mon cadavre

Or

Se fait longue l’histoire

Coule la pourriture

De la plaie des superstitions

Cet héritage des morts

Passons donc, il vaut mieux

Cela fait trois semaines que mon revolver

Baille dans le fond du tiroir

Il se leva

Posa un à un les balles

Dans le chargeur

Et calme

Il se tint

De profil

Devant le miroir

Il cibla le cœur de sa tempe

Une minute

Se fit engloutir par les secondes

Et il compta entre ses dents

Un

Deux

Et… appuya sur la gâchette

Boum… implosion… fumée

Poussa alors

Une fissure

Comme une araignée

Sur le miroir

L’image de l’homme

Du fond du miroir

De derrière le miroir

Eclata follement de rire

Tombait la pluie

Le vent

Tapait des poings

Sur les vitres.


Éclat de souffrance

En cette nuit de l’éclat de souffrance

Au vent tu me confias

Il est facile

De confier aux étranges vents

En cette nuit de l’éclat de souffrance

Aux tumultes tu me confias

Comme un enfant naïf

Au sang congelé de mes frères

Tu me confias et partis

A moi tu me confias

Tu partis

Il est facile de partir

En cette nuit de l’éclat de souffrance

Il n’était ni larme ni pluie

Il était la continuité du sang

Qui tombait et qui nouait

La terre au ciel

Derrière la fenêtre

De la nuit et du sang

Un homme pleurait

Comme il pleurait tristement !

Comme il est triste qu’un homme pleure !

Non, la douleur est facile

En cette nuit de la constance de la douleur

En cette nuit de la souffrance et de la patience

En cette nuit du non mouvement et du silence

Je me fondais

Par la chaleur du doute

Dans le désert de la folie

Quelle magie que de croire !

Quelle force donne la croyance !

Tu fus emportée par la croyance

La croyance

En cette nuit de l’éclat de souffrance

En cette nuit de douleur intense

En cette nuit lorsqu’il est facile d’haïr

Et fou d’être fier

Salaud contrat que l’amour, oui l’amour !

En cette nuit où l’on se lamente

Comment a-t-on cru que l’amour guérit ?

Ah ! Comment ?

Les souvenirs dévorent encore le cœur

Comme des plaies affamées

Personne ne sait, même toi

Qu’un homme erre

Derrière la fenêtre de la nuit

L’écho de ses pleurs maintient le deuil

Personne ne connaît, même toi

La densité de la nuit

En cette nuit de l’éclat de souffrance

Comme un vieil arbre solitaire

Tu me confias

Au cruel fouet du vent

Puis comme une feuille tu t’éloignas

Tu partis loin, très loin vers l’infini

La croyance t’emportait

Quelle magie que de croire !

Quelle force donne la croyance !

Il est facile de partir

Il est facile d’entendre

Il n’est pas facile

D’être prisonnier

Ah !…c’est l’humiliation

En cette nuit de l’éclat de souffrance

Nuit du non mouvement, du silence

Elle est mienne, cette nuit

En cette nuit tenace, cette sale nuit

Il n’est pas facile

D’être prisonnier

Ah !... c’est l’humiliation

A la mort je te confie

Ah, la mort !

Il est facile de mourir.

Les sanglots d’un homme

Résonnèrent dans la nuit

Ils se transformèrent en toux

Et les toux en cartouches

Des cartouches continues

Il est facile de mourir.


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