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Attention !
N’attache jamais
Le bec d’un oiseau
Car
Il chantera avec ses ailes
Ne brise jamais ses ailes
Car
Il s’envolera avec son chant
Jusqu’à très haut dans le ciel
Ne dis jamais
Au poète
De garder le silence
Car…
L’homme qui vit et qui chanta la mort, Nosrat Rahmâni est, eu égard au contenu de ses textes, l’un des plus modernes poètes de la poésie persane contemporaine. Son oeuvre est en effet hantée par l’idée du néant de la vie et de la fascination de la mort. Ce qui émane à n’en pas douter de la sensibilité moderne ; de la conscience qui se trouve confrontée à l’étrangeté du monde. De ce point de vue, l’on pourrait approcher son texte à celui de Hedayat. Lui-même avoue d’ailleurs "qu’il se range plutôt du coté de Hedayat que de Nimâ ". Les écrits du poète sont à ce titre marqués par un univers fantastique, lequel évoque une certaine angoisse de l’existence. D’où ce débordement, dans ses poèmes, d’images de la nuit, du cadavre, ainsi que de sentiments de désespoir et de solitude, bref, d’absurdité de la vie. Il s’efforce d’ailleurs de décrire cette condition dans un livre peu connu du public, L’homme qui fut perdu dans la brume. Cette sensibilité tragique n’est sans doute pas sans rapport avec les conditions socio-politiques de l’époque où vivait l’auteur.
Né en 1929 et mort en 2000, Rahmâni a vécu l’époque de grands événements socio-politiques et nationaux mondiaux. Son œuvre ne reste donc pas étrangère au facteur social, essayant même de traiter la misère du monde à l’échelle mondiale :
La Maison Blanche
Le Kremlin
Deux tumeurs malignes
Dans la poitrine de la Terre…
Et l’Onu
L’architecture de la folie
La géographie du sang…
Apparaît alors toute l’attention que portait le poète aux malheurs du peuple, pour mieux exprimer son humanisme, lequel touche encore ce qui reste en nous d’humain :
J’ai été
Toute ma vie
La douleur même
J’ai brûlé
Au milieu de la flamme
Des espoirs de mon cœur
Hélas !
Déçu
J’ai toujours été
J’ai eu la fièvre
En amour
J’ai souffert pour éclore
En poésie
Hélas !
Dans le jardin des parfums et des couleurs
La fleur jaune je fus
…
Cependant
O enfants ! Gardez en mémoire
J’ai toujours été humain.
Mon amie !
Demande-moi
La longueur de la nuit des douleurs !
A moi
Qui ai dansé
Dans la ruelles des amants
Jusqu’à l’aurore
Demande-moi
La longueur de la voie de la séparation
Et à la vaine lamentation de mes pas
Sur le pavé
De la patience
Car
J’ai cherché
Pas à pas
Avec les vents
Ton odeur
Dans la ville par monts et champs
Ajustant
Ma montre
A la vieille horloge solitaire
De la tour de la ville
O chérie !
Quand la douleur
Affligea ton cœur
De ma chevelure blanche
Prends un cheveu
Lance-le à l’encensoir
Alors tu peux voir
L’amour
Sur le seuil
De ta porte.
Il appuya sur la gâchette
Frémit l’image dans le profond du miroir
Prit son envol le corbeau depuis le mur
Souffla le vent et clôt la fenêtre
Se mit à tomber une fine pluie
La douleur planta sa tente
L’homme se dit alors :
"Je sens
Que jusqu’au bord de l’immense
Où s’écoule
La congélation
Dans l’âme de tout coulant
Le chemin ne sera guère long
Cependant
Dieu - bien qu’il soit juste et généreux -
N’attend guère, à n’en pas douter,
Mon cadavre
Or
Se fait longue l’histoire
Coule la pourriture
De la plaie des superstitions
Cet héritage des morts
Passons donc, il vaut mieux
Cela fait trois semaines que mon revolver
Baille dans le fond du tiroir
Il se leva
Posa un à un les balles
Dans le chargeur
Et calme
Il se tint
De profil
Devant le miroir
Il cibla le cœur de sa tempe
Une minute
Se fit engloutir par les secondes
Et il compta entre ses dents
Un
Deux
Et… appuya sur la gâchette
Boum… implosion… fumée
Poussa alors
Une fissure
Comme une araignée
Sur le miroir
L’image de l’homme
Du fond du miroir
De derrière le miroir
Eclata follement de rire
Tombait la pluie
Le vent
Tapait des poings
Sur les vitres.
En cette nuit de l’éclat de souffrance
Au vent tu me confias
Il est facile
De confier aux étranges vents
En cette nuit de l’éclat de souffrance
Aux tumultes tu me confias
Comme un enfant naïf
Au sang congelé de mes frères
Tu me confias et partis
A moi tu me confias
Tu partis
Il est facile de partir
En cette nuit de l’éclat de souffrance
Il n’était ni larme ni pluie
Il était la continuité du sang
Qui tombait et qui nouait
La terre au ciel
Derrière la fenêtre
De la nuit et du sang
Un homme pleurait
Comme il pleurait tristement !
Comme il est triste qu’un homme pleure !
Non, la douleur est facile
En cette nuit de la constance de la douleur
En cette nuit de la souffrance et de la patience
En cette nuit du non mouvement et du silence
Je me fondais
Par la chaleur du doute
Dans le désert de la folie
Quelle magie que de croire !
Quelle force donne la croyance !
Tu fus emportée par la croyance
La croyance
En cette nuit de l’éclat de souffrance
En cette nuit de douleur intense
En cette nuit lorsqu’il est facile d’haïr
Et fou d’être fier
Salaud contrat que l’amour, oui l’amour !
En cette nuit où l’on se lamente
Comment a-t-on cru que l’amour guérit ?
Ah ! Comment ?
Les souvenirs dévorent encore le cœur
Comme des plaies affamées
Personne ne sait, même toi
Qu’un homme erre
Derrière la fenêtre de la nuit
L’écho de ses pleurs maintient le deuil
Personne ne connaît, même toi
La densité de la nuit
En cette nuit de l’éclat de souffrance
Comme un vieil arbre solitaire
Tu me confias
Au cruel fouet du vent
Puis comme une feuille tu t’éloignas
Tu partis loin, très loin vers l’infini
La croyance t’emportait
Quelle magie que de croire !
Quelle force donne la croyance !
Il est facile de partir
Il est facile d’entendre
Il n’est pas facile
D’être prisonnier
Ah !…c’est l’humiliation
En cette nuit de l’éclat de souffrance
Nuit du non mouvement, du silence
Elle est mienne, cette nuit
En cette nuit tenace, cette sale nuit
Il n’est pas facile
D’être prisonnier
Ah !... c’est l’humiliation
A la mort je te confie
Ah, la mort !
Il est facile de mourir.
Les sanglots d’un homme
Résonnèrent dans la nuit
Ils se transformèrent en toux
Et les toux en cartouches
Des cartouches continues
Il est facile de mourir.