N° 13, décembre 2006

Les manœuvres " Grand Prophète " ou le glas de l’impérialisme à l’américaine


Arefeh Hedjazi


Jeudi 2 novembre 2006, une série de grandes manœuvres militaires iraniennes baptisées " Grand Prophète " a débuté avec la participation des divisions navales, aériennes et terrestres du Sepah dans 14 provinces, du nord-est du pays aux eaux turquoise du Golfe Persique. Elle a commencé avec le lancement de dizaines de missiles de longue (1200 à 2000 kilomètres) et moyenne portée (140 à 500 kilomètres), Shahâb 2, Shahâb 3, Scud B, Fateh 110, Zelzal, Nour, Nasr, Kowsar et Zolfaghar 73, tirés de la région de Howz Soltan près de la ville de Qom. Les unités spéciales navales, aériennes et terrestres ont également participé à cette manœuvre.

Le but de cet exercice est la manifestation de la capacité et de la puissance nationale à se défendre de toute menace contre l’intégrité du territoire iranien. C’est une première. Car, comme l’a souligné le commandant des Forces Aériennes du Sepah, c’est la première fois au monde que ces missiles, dessinés et fabriqués par les Iraniens, sont testés dans le cadre d’opérations de grande envergure et non plus de simples essais. L’une des grandes nouveautés de ces missiles réside dans la modification de la série des missiles Shahâb, dont le rayon d’action s’est considérablement élargi, ainsi que leurs puissances respectives avec la transformation de leurs ogives classiques en ogives de type charge à sous-munitions, capables de projeter 1400 mini bombes dotées d’une grande puissance de destruction.

Au cours de ces manœuvres, le ministre iranien de la Défense a pris la parole pour affirmer que le très controversé embargo américain sur l’Iran, qui porte sur le domaine de la technologie militaire, est aujourd’hui inutile et ne sert plus qu’à raffermir la volonté des ingénieurs iraniens à continuer dans la voie de l’indépendance technologique par rapport aux grandes puissances. Il a également souligné que l’exercice " Grand Prophète " est un message de paix, d’amitié et de sécurité durable pour la région, ainsi que la manifestation de la puissance nationale.

Ces manœuvres sont intervenues alors que les Etats-Unis et cinq autres pays (Australie, France, Italie, Grande-Bretagne, Bahreïn) avaient lancé trois jours plus tôt un exercice naval de " lutte contre la prolifération nucléaire dans le Golfe Persique", à proximité des eaux iraniennes.

Le Sepah avait organisé de fin mars à début avril dernier la première étape des manœuvres "Grand Prophète" dans le golfe Persique et la mer d’Oman. Plus de 17 000 hommes, 1 500 navires de combat, des avions d’appui, des chasseurs-intercepteurs, des bombardiers, des hélicoptères et des missiles avaient été utilisés au cours de cette étape. Les militaires iraniens avaient alors testé plusieurs armes modernes, dont le missile balistique Fadjr-3, la torpille ultrarapide Hut, le missile antiaérien Misag-1 ainsi que d’autres armements.

Pour les Iraniens, ces manœuvres ne représentent pas une menace pour les pays voisins. D’ailleurs, ayant souffert de la faiblesse de l’armement iranien au cours de la longue et sanglante guerre Iran-Irak, ils attendaient depuis longtemps cette démonstration de force qui permet à l’Iran de montrer son potentiel de puissance. Alors que toute cette région du globe est aujourd’hui un terrain de manœuvres pour les Yankees, et que les bottes américaines foulent sans respect les territoires millénaires de l’ancienne Mésopotamie, il est important pour tous les habitants de la région de voir se profiler, même vaguement, une puissance stable, capable de peser lourd dans les décisions des grands de ce monde. C’est pourquoi, paradoxalement, ces manœuvres ont vraiment atteint leur but annoncé, qui était de renforcer la sécurité dans la région. Ces manœuvres sont un message clair pour l’Europe et les Etats-Unis, dont les victoires éclair se sont révélées particulièrement éphémères.

Pour nombre d’observateurs, ces manœuvres, suivant de près l’exercice naval de " Lutte contre la prolifération nucléaire dans le Golfe Persique ", ne sont pas une coïncidence même si elles avaient été prévues de longue date. Le test de nouveaux missiles longue portée a immédiatement déclenché la sonnette d’alarme dans les pays occidentaux qui ont tous rappelé que ces missiles pourraient atteindre Israël. Ces manœuvres ont eu lieu dans un contexte international assez tendu à cause du dossier nucléaire iranien qui paraît être dans une impasse, étant donné qu’aucun des négociateurs ne semble prêt à faire des concessions.

Qui a raison ? Les Iraniens, bien sûr. Signataire du Traité de Non Prolifération Nucléaire, qui donne aux pays le droit d’enrichir l’uranium, l’Iran est en règle avec le droit international. Donc, ne parlons pas de droit. Ici, il s’agit simplement d’empêcher un pays dont les valeurs ne correspondent pas forcément à celles de l’Occident d’entrer dans le club très fermé des pays détenteurs de la technologie nucléaire. République islamique, l’Iran condamne vivement, au nom de la morale et de l’éthique, l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins militaires. Mais la communauté internationale, euphémisme servant à désigner les grandes puissances, ne veut pas l’entendre.

De quoi s’agit-il au final ? D’un pays en pleine expansion démographique, aux besoins croissants, qui veut remplacer ses principales ressources énergétiques, c’est-à-dire le pétrole et le gaz, par l’énergie nucléaire. Des dizaines de pays l’ont déjà fait jusqu’à aujourd’hui, à commencer par la France, premier pays producteur d’énergie nucléaire. Seulement, les valeurs iraniennes ne correspondent pas à celles qu’affectionne l’Occident. L’Iran, signataire du Traité de Non-prolifération Nucléaire, qui permet à ses signataires d’enrichir l’uranium, n’a pas intérêt à se doter de centrales nucléaires. Pourquoi ? Parce que le bloc de l’Ouest n’a pas " confiance ". Bien entendu, il est hors de question de leur demander pourquoi, si l’énergie nucléaire est dangereuse, elle ne l’est que pour certains pays particuliers. La réponse serait sans doute dans la définition très claire qu’a donnée M. Bush au début de son mandat. L’Iran fait partie de "l’axe du Mal ", n’est-ce-pas ?

C’est donc ainsi que depuis quelques mois, le dossier iranien figure à la une des journaux occidentaux. Avant cela, G. W. Bush, néo-conservateur nouvellement promu chef d’Etat, s’était permis de placer l’Iran dans " l’axe du Mal ", ce qui avait immédiatement déclenché un grand mouvement de solidarité à l’intérieur du pays où la nation, oubliant ses dissensions internes, avait violemment manifesté sa désapprobation. Depuis plus de trois ans, le gouvernement américain, mal guidé par des conseillers peu avisés, commet erreur sur erreur en ce qui concerne la politique à suivre dans le sud-ouest de l’Asie. Du soutien à Israël, qui a plus d’une fois montré ses volontés hégémoniques, en s’adonnant à des massacres, en se lançant dans la construction du Mur de Séparation, destiné à parquer les Palestiniens dans ce que l’on pourrait très bien appeler un ghetto, au déclenchement des deux guerres meurtrières, à la recherche d’hypothétiques armes de destruction massive que l’on pourrait effectivement trouver en masse dans l’arsenal israélien, guerres qui n’ont non seulement pas aidé à calmer les esprits, mais ont contribué à davantage déstabiliser la région et à l’enfoncer dans le chaos. L’ironie de la situation, c’est que l’Iran est l’unique pays auquel la fin du régime des Talibans et celui de Saddam Hussein ait réellement profité.

Aujourd’hui, il s’agit pour l’Occident de choisir entre la voie du dialogue ou celle des menaces. C’est un choix difficile puisqu’il n’en est pas vraiment un. L’Iran n’est pas l’Afghanistan ou l’Irak. C’est une puissance régionale stable et en pleine expansion. Pays producteur de pétrole, il peut éventuellement peser lourd dans la balance de l’économie mondiale. Exportateur d’idées, défenseur d’une certaine pensée religieuse à vocation universelle, il compte de nombreux sympathisants, au moins au sein des pays voisins, ce qui lui permet de jouer un rôle clé dans la région. Doté d’un vaste potentiel économique, il a montré depuis vingt-six ans sa capacité de résistance face à toutes sortes de pressions, d’embargos ou d’attaques et les Américains, qui imposent un embargo sévère sur le commerce avec l’Iran, en ont fait l’amère expérience quand d’autres pays ont raflé les contrats alléchants que proposait la République islamique. Actuellement embourbés en Irak et en Afghanistan, les Américains doivent absolument changer leur politique extérieure en ce qui concerne l’Iran. D’ailleurs, avec les récentes élections sénatoriales qui ont propulsé les démocrates au pouvoir, de vagues ébauches de changement semblent émerger au sein du gouvernement américain, avec la proposition inédite de James Baker, ex-ministre de la Défense, qui a, pour la première fois, osé faire remarquer que si Bush ne veut pas perdre la face en Irak, il doit composer avec l’Iran.

Il ne faut pas non plus oublier la Russie et la Chine, deux puissances dotées du droit de veto, pour qui l’Iran est un excellent partenaire économique et qui ne tiennent pas à le perdre.

L’heure est donc venue pour les Occidentaux de s’asseoir à la table des négociations avec l’Iran, non avec la mentalité colonisatrice qui a jusqu’alors caractérisé leurs politiques extérieures respectives, mais en ne perdant pas de vue que leur interlocuteur est un pays décidé à ne pas se laisser spolier et qu’il a suffisamment de ressources pour le prouver.


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