N° 13, décembre 2006

Iran : un autre regard
Premiers repérages en vue de la réalisation d’un documentaire sur la notion de l’ijtihâd


Fatima Moussavi


En tant qu’algérienne et française, Fatima Moussaoui s’est penchée sur l’étude de la condition de la femme en Islam. Après avoir exercé le métier de journaliste dans la presse écrite en Algérie et effectué des études à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, elle se consacre désormais à la réalisation de documentaires. Elle a réalisé un premier film sur la condition de la femme en Algérie, et prépare actuellement un documentaire sur la notion d’Ijtihâd au travers de l’exemple chiite. Dans ce but, elle s’est rendue au sein d’un haut lieu du chiisme, la ville sainte de Qôm.

L’Ijtihâd est synonyme de questionnement et d’effort permanent pour comprendre l’existence et prononcer des décisions légales au travers des outils de la religion islamique. L’ijtihâd désigne donc cet effort d’interprétation des textes fondateurs de l’islam - essentiellement le Coran et les Hadiths - réalisé par les oulémas, les juristes musulmans, ou encore, dans certaines branches de l’islam, par chaque individu pour qu’il les applique au contexte au sein duquel il vit. Il fait partie intégrante des débats autour des rapports entre islam et modernité.

Mon intérêt s’est porté vers l’Iran car, en tant que musulmane sunnite, je me suis demandée en quoi leur pratique religieuse différait de celle que je connaissais. Ma curiosité s’est accrue lorsque j’ai découvert l’importance qu’accordait les chiites à cette notion d’Ijtihâd. Je viens ainsi d’un point du globe très éloigné de l’Iran, d’un pays du Nord de l’Afrique, arabe, musulman et sunnite, l’Algérie ; pays jeune qui a eu sa part importante de souffrance et que j’ai dû quitter pour m’installer en France. Aussi, je fais partie de cette diaspora algérienne depuis les années 1990. Quand on quitte ses repaires et ses racines, on a souvent tendance à se reconstruire un refuge au sein de cet exil, de cette terre qui nous accueille. J’ai quitté les miens avec un héritage culturel, religieux et une langue maternelle, l’arabe, langue du Coran. Cela dit, je n’ai pas rencontré de difficultés à vivre avec un tel bagage. Aujourd’hui, j’ai ainsi l’impression d’être devenue une sorte de lien entre deux rives, le monde musulman et le monde occidental.

Mon questionnement sur la condition de la femme en Islam trouve à sa source une problématique importante qui fonde, à mon avis, l’essence même de la construction de la société et l’avenir des générations. Car la femme est sœur, épouse et surtout mère ; éducatrice des futurs hommes et femmes de la société. La mère est très respectée dans la culture musulmane ; et comme le prophète Mohamed (p.s) l’a évoqué dans un hadith : "Le paradis est sous les pieds des mères." Mon éducation religieuse s’est faite de façon assez pratique, transmise à la fois par l’école, la maison paternelle et surtout par les coutumes et traditions de mes grands-parents. L’islam en Algérie, tel que je l’ai appris et vécu, constitue une part très importante de l’identité algérienne. La pratique du culte reste une question très personnelle, et notre rapport à Dieu est très personnalisé. Je dirais ainsi que ma pratique de l’islam reste de l’ordre de l’intime et du privé. Etre femme dans une société musulmane a soulevé en moi beaucoup de questionnements, et ce avant même de quitter l’Algérie pour aller vivre en France. Fatima Mernissi résume en partie mes propres questionnements. Dans son ouvrage intitulé Le Harem du prophète, cette sociologue marocaine soulève la problématique de la femme et celle de son statut dans la religion musulmane. Elle traite également de son rapport à l’homme et de la façon dont sa situation évolue en fonction de l’interprétation des textes religieux. De quelle manière l’islam a-t-il été un des moteurs de l’évolution de sa condition, et non un frein à son épanouissement personnel ? Elle évoque également le rôle négatif du patriarcat dans l’évolution du statut de la femme et de sa participation dans l’éducation d’une nation. Par la suite, mes différentes lectures et recherches m’ont conduite à visiter l’Iran, en particulier Qôm, ville sainte chiite. Je voulais approcher le cœur même de cette philosophie de l’Ijtihâd pratiquée en majorité par les chiites.

Ainsi, le "Haram" (tombeau) a suscité en moi beaucoup d’interrogations, car il reste un endroit énigmatique. On ne peut rester indifférent à ce lieu. A la vue du tombeau de Fatemeh el Mâssouma, sœur de l’Imam Reza, huitième imam du chiisme, ma vision de l’Islam en tant que religion qui a honoré la femme et qui lui a conféré un rôle très important aux côtés de l’homme dans la construction de la société et de la famille n’a fait que se renforcer. Avec ses deux grandes universités religieuses " El Zahra " et " Binto El Houda ", la ville de Qôm donne la possibilité aux femmes d’accéder à un savoir équivalent à celui des hommes dans des domaines tels que la théologie ou la philosophie religieuse. Cette situation permet ainsi de voir émerger des générations de jeunes femmes ayant des connaissances étendues et précises en religion. L’étude de la façon dont l’ijtihâd est pratiqué en Iran, qui a motivé mon premier voyage en Iran, peut être le point de départ d’une réflexion sur la condition de la femme musulmane. L’Iran présente l’exemple inédit d’une société musulmane où les femmes ont réussi à dépasser leur espace privé (leur maison) pour aller dans un espace public (la société), parvenant à une indépendance économique importante par rapport aux autres pays musulmans. La révolution khomeyniste a permis aux femmes de participer à la scène politique, et d’accéder par la suite aux bancs des universités.

Découvrir que dans l’Iran contemporain, existent plusieurs femmes ayatollah a suscité en moi une très grande curiosité. Comment une femme iranienne peut-elle accéder à un tel rang religieux dans l’Iran chiite d’aujourd’hui ? Comment le chiisme a t-il permis de laisser ouverte la possibilité à une forme de libre pensée et de participation des femmes à la réflexion concernant l’existence humaine et le rapport de chaque être à Dieu ? L’esprit vif de Zohreh Sefati, femme ayatollah résidant à Qom, n’a fait que renforcer mon espoir de voir des femmes jouer un rôle actif au sein de la société en tant que croyante et citoyenne. Ce projet de documentaire me permet donc de poursuivre un questionnement constant sur l’effort de traduction, d’interprétation et de transmission des textes et versets coraniques ; travail qui est accompli par des mojtahidates telles que Zohreh Sefati. Au sein même de l’Iran, faut-il encourager d’autres femmes à accéder à de telles positions ? Faut-il élargir les perspectives pour permettre à d’autres femmes musulmanes du monde entier de participer à cet Ijtihâd ?

Le travail que je prépare actuellement repose sur une construction filmique, à travers laquelle j’expose cette problématique du point de vue d’une algérienne musulmane vivant en Occident.


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